L’appréhension du risque financier dans la commande publique

Saisir le juge du référé mesures-utiles pour faire respecter les obligations contractuelles

Cyril BARADUCCyril Baraduc
Consultant associé
LEXFIS

 

Armand LangArmand Lang
Consultant associé
LEXFIS

L’identification des risques de toute nature susceptibles d’affecter un contrat public en phase d’exécution est un exercice relativement récent dans le paysage public français. Nous nous éloignons progressivement du temps où nombre de projets publics, y compris de grands projets, ne donnaient lieu qu’à des études techniques préalables, sans approche véritable des risques économiques, juridiques, financiers, voire techniques, du projet. L’appréhension du risque était limitée à une interrogation quant aux capacités techniques et financières des candidats par rapport au projet qui se traduisait, par exemple, par la volonté d’écarter un risque de défaillance de l’entreprise ou bien à exiger des assurances quant à ses risques professionnels.

Le rapport sur le calcul du risque dans les investissements publics, publié par le Centre d’analyse stratégique en juin 2011, tire un constant alarmant : « De manière générale, au-delà des discours sur le principe de précaution, la prise en compte effective des risques dans les études et les évaluations qui alimentent la décision reste insuffisante au regard des enjeux. L’absence de réflexion sérieuse sur ce point inflige a posteriori à la collectivité des coûts supplémentaires importants qui auraient pu être évités. » (Le calcul du risque dans les investissements publics – Centre d’analyse stratégique devenu France stratégie, institution rattachée aux services du Premier ministre).

L’ordonnance du 17 juin 2004 relative aux contrats de partenariat public-privé a innové en prescrivant la réalisation d’une évaluation préalable qui exposait les raisons pour lesquelles, après analyse comparative des différentes options contractuelles, portant notamment sur les coûts, la performance et le partage des risques, le contrat de partenariat était retenu. L’idée de se livrer, à tout le moins, au recensement des principaux risques d’un projet public a cheminé. Ces dernières années, des collectivités publiques ont eu recours à cette approche prudentielle, alors même que le droit ne leur en faisait pas obligation.

Une approche du risque est prise en compte dans le décret du 23 décembre 2013, pris en application de l’article 17 de la loi du 31 décembre 2012 de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 suivant lequel : « Les projets d’investissements civils… financés par l’État font l’objet d’une évaluation socio-économique préalable. » Le décret prévoit que le dossier d’évaluation relatif à tout projet d’investissement qui atteint au moins 20 M€ HT de financement comprend une analyse comparée des modes de financement, ainsi qu’une « cartographie des risques du projet ».

L’ordonnance du 23 juillet 2015 réformant les règles de la commande publique, entrée en vigueur le 1er avril, accorde une place importante à la gestion des risques. Elle étend l’obligation de recourir à une évaluation des risques à tout marché public dont le montant d’investissement est supérieur au seuil fixé à 100 M€ HT par le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016. Cette évaluation comporte, outre une estimation en coût complet des différentes options de montages contractuels et leur analyse comparative en valeur actualisée, une présentation des principaux risques du projet, leur répartition entre l’acheteur et le titulaire et, le cas échéant, leur valorisation financière.

Jusqu’à présent, dans la plupart des cas, l’approche systémique des risques se limitait à leur recensement et à l’élaboration d’une matrice des risques proposant leur répartition entre l’acheteur et le titulaire du contrat, bien que le modèle financier d’évaluation préalable et son guide d’utilisation publié par la Mission d’appui au partenariat public-privé (MAPPP) proposait une méthode d’évaluation des surcoûts résultant de la survenance d’un risque. La valorisation des risques, nettement plus complexe qu’un simple recensement, exige un travail étroit entre l’économiste en charge de la valorisation et tous les acteurs du projet. Elle passe par l’établissement, après élaboration d’un scénario financier central, de scénarios alternatifs prenant en compte les risques significatifs auxquels est exposé le projet. Ce travail pédagogique sensibilise la personne publique au risque financier encouru lors de la survenance de tel ou tel risque, sachant qu’il est apprécié au regard de sa probabilité et de sa gravité.

Le décret du 25 mars 2016 prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent utiliser la procédure concurrentielle avec négociation ou le dialogue compétitif, notamment lorsque le marché public ne peut être attribué sans négociation préalable en raison de sa nature, sa complexité, son montage juridique et financier ou en raison des risques qui s’y rattachent.

Sans grande surprise, l’ordonnance aborde largement la question de l’évaluation préalable et de l’appréhension des risques en ce qui concerne les marchés de partenariat public-privé, anciennement contrats de partenariat public-privé. Cela n’est guère surprenant dans la mesure où l’ordonnance de 2004 relative aux contrats de partenariat public-privé a innové dans ce domaine. Cela n’est guère surprenant également au regard de l’intense polémique qui a été soulevée autour de ce mode contractuel, lequel pourtant est proche de son ancêtre, le bail emphytéotique administratif, très largement utilisé dans des domaines aussi divers que les hôtels de police, les gendarmeries (lois LOPSI I et II), les résidences pour personnes âgées, le logement…

Les personnes publiques ne peuvent recourir au marché de partenariat que si sa valeur est supérieure à un seuil fixé par voie réglementaire en fonction notamment de « l’intensité du risque encouru ». Le décret fixe plusieurs seuils qui vont de 2 à 10 M€ HT en valeur marché (somme des loyers sur toute la durée de vie du marché appréciée en valeur actualisée) suivant la nature de l’investissement (investissement incorporel, investissement de réseaux, de bâtiment avec ou sans maintenance…). L’obligation de recourir à une évaluation préalable est maintenue, quel que soit le montant du marché de partenariat, selon des modalités identiques à celles prévues pour tout marché public de plus de 100 M€ HT. Il doit être démontré que ce mode contractuel présente une plus grande efficience que les autres modes de réalisation, efficience appréciée notamment au regard des modalités de partage de risques entre l’acheteur et le titulaire.

Désormais une étude de soutenabilité budgétaire est exigée. Dans le dispositif antérieur, seule une obligation d’établir un ratio de coût annuel du contrat de partenariat sur les recettes de fonctionnement de la collectivité territoriale cocontractante était exigée. L’ordonnance mentionne plus explicitement le terme de soutenabilité budgétaire, ce qui met en exergue le lien entre une gestion optimum des risques et une approche affinée de la soutenabilité financière du projet pour la personne publique. L’étude de soutenabilité budgétaire inclut le coût prévisionnel du contrat en moyenne annuelle, la part que cela représente par rapport à la capacité d’autofinancement annuelle de l’acheteur, l’impact sur l’évolution de ses dépenses obligatoires, ses conséquences sur son endettement et ses engagements hors bilan, une analyse des coûts de rupture anticipée du contrat…

L’ordonnance introduit une nouveauté intéressante dans le dispositif des marchés de partenariat : les collectivités publiques peuvent prendre, au titre de leur concours financier à l’investissement, des participations minoritaires au capital de la société de projet créée par le titulaire du marché. Les statuts précisent alors la répartition des risques entre les actionnaires.

Sans surprise, le risque est également au cœur de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : « Les contrats de concession sont les contrats conclus par écrit, par lesquels une ou plusieurs autorités concédantes soumises à la présente ordonnance confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service… » La terminologie employée, « un risque », ouvre largement la porte à une modulation du risque d’exploitation transféré. L’ordonnance apporte toutefois une précision : « Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il a supportés, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service. » Malgré ce focus, une réelle incertitude pèsera sur l’approche du risque d’exploitation, ses conséquences et sa répartition. Les « conditions d’exploitation normale » feront certainement les beaux jours de la jurisprudence administrative.

Le projet d’ordonnance prévoyait que les contrats de concession seraient soumis à évaluation préalable suivant le même dispositif que celui figurant désormais dans le Code des marchés publics. Cette disposition a été abandonnée, les autorités concédantes ayant manifesté leur réticence dans le cadre de la consultation organisée sur le projet d’ordonnance. Subsiste cependant l’obligation de l’évaluation socio-économique des projets d’investissements de plus de 20 M€ HT de financement prévue par le décret du 23 décembre 2013 et qui ne s’applique qu’aux concessions de l’État. Les concessions des collectivités territoriales et celles de l’État de plus faible montant sont donc dispensées de toute évaluation préalable, notamment dans l’appréciation des risques du projet, ce qui paraît surprenant au regard des évolutions actuelles de la commande publique et de l’approche du risque d’exploitation exposé dans l’ordonnance.

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