La mutualisation des achats : un outil essentiel pour la performance économique

L’analyse des candidatures : enfin un outil optimal pour une méthode fiable

Interview de Yann BARANGER

Directeur régional du pôle Juridique, Achats et Marchés Publics de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Région Normandie

ACP FORMATION : Quels sont aujourd’hui les enjeux de la mutualisation des achats ?

Yann BARANGER : La mutualisation des achats s’inscrit dans le processus actuel d’évolution des personnes publiques.

En effet, les restrictions budgétaires et en particulier les baisses de dotations de l’Etat, mais également les réorganisations des compétences territoriales au sein des collectivités par exemple, ont conduit les organismes administratifs à rationaliser leurs dépenses et à trouver de nouveaux modèles économiques de financement et d’organisation, parfois en se rapprochant voire en fusionnant au sein d’une même structure. C’est dans ce contexte de mutation des structures publiques, que vient s’imposer la mutualisation des achats, à la croisée des enjeux budgétaires et organisationnels.

Dans cette perspective, la mutualisation des achats participe pleinement aux exigences d’efficience économique, lesquelles se traduisent usuellement par l’optimisation des coûts par le biais :

  • d’une part, d’économies d’échelle sur le segment d’achat considéré (dues à la massification mais également à la stratégie d’achat en tant que telle : processus d’achat et de gestion des commandes, harmonisation, rationalisation des dépenses et des pratiques…),
  • d’autre part, des gains sur les coûts indirects (frais de publicité, gains en temps passé, meilleure organisation des fonctions supports et des ressources, etc.).

En parallèle, il va de soi que cette efficience doit être corrélée avec une nécessaire adéquation sur le niveau de qualité de service.

A noter enfin que toute mise en place d’une mutualisation doit aller dans le sens d’une sécurisation des procédures.

ACP FORMATION : En quoi cela peut-il consister concrètement ?

Yann BARANGER Considérons pour cela 3 natures principales de mutualisation, s’échelonnant sur des degrés croissants d’implication et d’enjeux.

1° Les acheteurs peuvent recourir à une mutualisation institutionnalisée, c’est-à-dire aux centrales d’achat déjà existantes à l’instar de l’UGAP, du RESAH ou de certaines centrales d’achat qui se créent localement… Les intérêts d’avoir recours à ces centrales d’achat sont multiples : éviter à un acheteur de mener une procédure par lui-même, pouvoir bénéficier de coûts issus de la massification par la centrale d’achat en toute sécurité, mais également lui permettre de se concentrer sur une programmation d’achat propre tout en confiant à ces centrales l’acquisition d’autres segments d’achats.

2° Il existe une mutualisation ponctuelle, que l’on pourrait appeler d’opportunité, qui consiste à ce que plusieurs acheteurs se regroupent pour commander ensemble des fournitures, des services ou des travaux… Il s’agit d’une mutualisation sur un segment d’achat défini et commun, organisée par le biais d’un groupement de commandes. Les exemples sont nombreux tant ce processus de mutualisation est devenu aujourd’hui courant. Citons ainsi les cas d’établissements publics concessionnaires désireux d’acheter en commun des produits fondants pour l’exploitation de leur service hivernal, de collectivités souhaitant assurer un bien immobilier qu’elles partagent, de personnes publiques souhaitant mener conjointement une étude d’aménagement, etc. A noter que pourrait être intégré dans ce type de mutualisation ponctuelle, le cas des entités publiques se groupant au sein d’une co-maîtrise d’ouvrage (même si les responsabilités et le formalisme sont alors différents).

3° La plus aboutie dans sa capacité à répondre aux enjeux actuels est la mutualisation partielle ou globale des achats de différentes entités. Cette mutualisation est plus profonde, puisqu’elle intègre, dans une unité de temps et d’espace, tous les segments achats qui auront pu être identifiés comme tels, et se matérialisera par une organisation ad’hoc pour mener à bien cette politique de mutualisation. Elle peut concerner tous types d’achats, des fournitures de bureau aux systèmes d’information, des services d’entretien aux assistances à maîtrise d’ouvrage, etc.

ACP FORMATION : Dans la pratique, comment procède-t-on et quels sont les outils à mettre en place pour bien mutualiser ses achats ?

Yann BARANGER L’hypothèse d’une mutualisation ponctuelle est aujourd’hui couramment répandue et facile à mettre en œuvre, en se déclinant par un outil connu : le groupement de commandes.

La solution d’une mutualisation globale des achats est, quant à elle, plus complexe à mettre en œuvre car empreinte d’une dimension structurelle essentielle et d’une volonté politique forte, mais elle constitue le levier principal de l’efficience économique. Ainsi, sa mise en place nécessitera une démarche méthodologique rigoureuse visant notamment à :

  • tout d’abord, établir un état des lieux complet, en définissant une cartographie des achats, en diagnostiquant les organisations et fonctions achats, en projetant les grandes mutations des organisations à venir, en appréhendant le marché et le tissu économique, etc. – c’est le fameux « connais-toi toi-même » de Socrate où il convient de savoir qui achète, ce que l’on achète, comment, quand et pourquoi on l’achète, et de connaître l’environnement et le contexte pour porter une analyse multicritère et en déduire les enjeux de la mutualisation ;
  • ensuite, cibler les axes de la future politique achat et définir le périmètre des achats mutualisés, la programmation ainsi que le plan d’action stratégique sur ces segments d’achats ;
  • enfin, décliner les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir avec des réflexions transversales sur : la fonction achat (quelle organisation, quel niveau, quelles synergies…), les modalités de passation, les modalités de gestion des achats (centralisée, décentralisée, partagée), les outils : groupement de commandes et/ou centrale d’achats, etc.

Il s’agit dans cette formule de créer une fonction achat pivot dans laquelle la mutualisation prendra tout son sens.

En résumé, si la mutualisation ponctuelle d’un segment d’achat entre plusieurs entités se décline traditionnellement par le groupement de commandes, la mutualisation globale des achats entre différentes structures publiques présente l’enjeu, par une méthode nécessairement éprouvée, de réfléchir dans sa globalité à tous les achats mais aussi à la manière de les conduire, et constitue ainsi la clé de l’efficience économique pour accompagner le nécessaire renouvellement des modèles économiques des personnes publiques dans ce contexte de raréfaction des finances publiques. Il présente par ailleurs, opérationnellement, l’avantage du choix des outils : groupement de commandes ou centrale d’achat…

ACP FORMATION : Quelles sont les principales différences entre ces deux outils ?

Yann BARANGER Chaque outil possède ses propres caractéristiques et répond à des enjeux et objectifs différents.

De façon sommaire, le groupement de commandes donne une visibilité précise au prestataire, ce qui lui permettra d’agir en conséquence sur les coûts proposés dans le cadre de son offre. Toutefois, son adhésion préalable avec un formalisme important (convention constitutive signée par tous les membres – sans connaître les coûts et solutions qui seront proposées à ce stade), son caractère fermé (avec l’impossibilité d’intégrer des membres après lancement de la procédure de consultation), la nécessité d’une définition des besoins parfaitement partagée, une exécution des marchés convergente et son inadaptation à certains segments d’achats rendent son utilisation limitée dans le cadre d’une mutualisation de plus grande envergure.

L’intérêt principal de la centrale d’achat réside dans sa souplesse, en cela qu’il n’y a pas d’obligation de formalisme en amont de la consultation, que le mécanisme d’adhésion n’est pas fermé et permet aux pouvoirs adjudicateurs de bénéficier des solutions et prix proposés par le titulaire à tout moment et en parfaite connaissance de l’offre, qu’il permet d’harmoniser les pratiques et d’amener des solutions innovantes. Ajoutons qu’il existe d’ailleurs des moyens pertinents pour limiter le manque de visibilité pour les candidats.

Ainsi, d’une façon générale, si le groupement de commandes est l’outil traditionnel pour toute mutualisation ponctuelle, il trouvera toutefois ses limites dans le cadre d’une mutualisation globale des achats, où la centrale d’achat prendra sens ; d’où les nombreuses créations (quels qu’en soient les modèles) de centrales d’achat ces dernières années. Dans le cadre d’une mutualisation globale, il conviendra toutefois de mesurer et sélectionner au cas par cas, selon la nature et les spécificités du segment d’achat concerné, l’outil de passation le plus adapté, voire de combiner les deux.

ACP FORMATION : Enfin, la mutualisation des achats est-elle compatible avec les objectifs d’accès des PME à la commande publique ?

Yann BARANGER C’est effectivement une question qu’il faut envisager très tôt lors de l’élaboration de la politique achat.

Il me semble qu’il ne faut pas nécessairement opposer ces deux enjeux, mais plutôt les traiter de façon complémentaire.

Certes, la mutualisation a comme objectif fondamental d’aboutir à des économies d’échelle. Toutefois, plusieurs leviers sont à la disposition des personnes publiques désirant intégrer dans leurs politiques achats une dimension forte d’accès des PME à la commande publique en adéquation avec la mutualisation. Par exemple l’acheteur pourra définir un périmètre d’achats à mutualiser compatible avec ces deux objectifs, établir des politiques achats complémentaires au sein des différents établissements pour permettre le respect de tels engagements ou encore mutualiser certaines procédures tout en portant une réflexion particulière sur l’allotissement, etc. Tout est une question de dosage, c’est-à-dire de priorité en matière d’enjeux, de spécificité du segment d’achat… bref, de politique achat.

 

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