Xavier Robert
DGS en disponibilité
Consultant-Formateur
Avec la mort programmée de la taxe d’habitation, pesant pour plus de 20% des ressources fiscales des collectivités territoriales, la question du niveau réel de leur autonomie financière vient, à nouveau, à se poser cruellement pour elles.
Si la précédente saignée (avec la suppression de la taxe professionnelle en 2010, laquelle représentait déjà près du tiers du panier fiscal local), avait pu être relativement bien absorbée, cette nouvelle amputation de leur levier fiscal risque d’achever de vider de son sens le concept même d’autonomie financière des collectivités locales.
Bien que la loi organique de 2004 ait semblé enfin sanctuariser cette autonomie financière en garantissant aux collectivités territoriales un niveau plancher de « ressources propres », la question reste de savoir ce que recouvre exactement, du point de vue de l’État, ces deux notions.
La garantie apportée par l’État apparaissait pourtant, cette fois-ci, on ne peut plus claire, à travers les ratios d’autonomie financière qu’il avait lui-même institués pour chacun des niveaux de collectivités et en deçà desquels il s’était engagé à ne pas descendre.
Pour rappel, le ratio d’autonomie financière est calculé de la manière suivante :
Ressources propres =
Fiscalité + Redevances et Produits du domaine (= tarification)
+Participations d’urbanisme + Produits financiers + Dons et legs
Ensemble des ressources=
Ressources propres + Dotations (DGF, Dotations d’équipement, FCTVA…)
+ Compensations + toutes autres participations (dontopérations pour compte de tiers)
Bien que le dernier rapport (2018) de l’Observatoire des finances locales fasse état d’une nette amélioration du ratio d’autonomie financière des collectivités depuis 2003 (près de 10 points gagnés pour le bloc communal, plus de 12 pour les départements et plus de 20 pour les régions), qui peut encore croire que les collectivités territoriales ont gagné en en autonomie financière depuis les quinze dernières années ? Loin de tromper les élus et dirigeants territoriaux, chacun aura compris que l’évolution favorable de ce ratio agit comme un véritable trompe-l’œil et que la garantie apportée par l’État est vite apparue comme un véritable marché de dupes.
ACP FORMATION : quid des « ressources propres » des collectivités territoriales ?
Xavier Robert : Les deux principaux biais liés au calcul de ce taux plancher au regard des ressources dites « propres », fixé en référence à 2003 et se traduisantpar un ratio de 60% environ des ressources totales pour les communes et les départements et de 40% pour les régions, tient au fait que l’État s’est bien gardé de prendre en compte les évolutions futures des deux postes de ressources essentiels suivants : la part des ressources fiscales propres, d’une part, la diminution possible des dotations, d’autre part.
Or, s’agissant du premier point, la part des ressources fiscales propres, force est de constater qu’elle n’a cessé de diminuer depuis 1999, en particulier sous l’effet d’une série d’allègements fiscauxdécidés unilatéralement (suppression de la part salaires de la taxe professionnelle (TP), réforme de la fiscalité applicable aux droits de mutations, suppression de la part régionale de la taxe d’habitation, suppression de la vignette automobile et, enfin, suppression pure et simple de la TP…) qui ont, peu à peu, achevé d’affaiblir le dynamisme de la fiscalité locale en la transformant en dotations.
Cette perte de dynamisme de la fiscalité locale ayant été largement compensée par la hausse exceptionnelle des recettes de fiscalité indirecte due à la reprise économique, cette amputation du levier fiscal est passée alors relativement inaperçue, mais l’accroissement mécanique de la rigidité budgétaire des collectivités territoriales a rapidement pris tout son sens avec le gel puis,l’amputation, des dotations d’État.
Sachant que ce ratio de référence s’améliore mécaniquement lorsque les ressources dites « propres » évoluent plus vite que les « autres » ressources, il est apparu assez aisé à l’État de piloter à sa guise le dit ratio en jouant, alternativement ou cumulativement, sur son numérateur et/ou son dénominateur, de sorte à prévenir tout procès en recentralisation de la part des autorités locales.
La compensation des différentes suppressions de tout ou partie des bases de fiscalité locale ayant été considéréecomme une ressource propre dans les calculs des ratios d’autonomie financière, le dit ratio a ainsi été habilement piloté à la hausse, sans même évoquer les ajustements sur la dotation générale de décentralisation (DGD) qui lui a opportunément permis de compenser certains transferts de compétence ne donnant pas lieu à transfert de fiscalité… Ainsi, la pertinence du ratio d’autonomie financière perdait d’ores et déjà tout son sens, à partir du moment où des dotations de compensation, par nature figées, étaient intégrées aux ressources propres des collectivités.
À l’instar des effets « yo-yo » des attributions de FCTVA, due notamment aux effets budgétaires du plan de relance, la baisse des « autres ressources »a automatiquement contribué à améliorer fictivement le dit ratio et fait de l’État le principal contribuable local.
Dans la perspective de la purge annoncée de 13 milliards d’euros sur les cinq ans à venir, l’instrumentalisation du caractère « propre » des ressources n’est pas prête de s’achever… Ce trompe-l’œil repose, en premier lieu sur le flou artistique entretenu quant à la notion même de « ressources propres », lequel est savamment instrumentalisé depuis 2003.
Concernant l’éventuelle baisse des dotations, il aura fallu à peine plus de dix ans pour que l’État foule au pied le contrat moral passé avec les collectivités en leur amputant 1,5 milliard d’eurosde DGF en 2014, puis près de 11 milliards entre 2015 et 2017, soit 1/3 de leur dotation totale ! Les élus locaux auront désormais bien compris que les dotations continueront de constituer la variable d’ajustement des finances publiques.
Encore deuxième poste de ressources des collectivités territoriales en 2013 et pouvant représenter près du tiers des recettes totales de certaines communes, la DGF aura tellement fondu que près de 500 d’entre elles se sont même vues prélever, d’autorité, des recettes de fiscalité directe, au titre de leur « contribution au redressement des finances publiques » ! Comme gage d’autonomie accordée aux collectivités, l’État n’a ainsi rien trouvé de mieux que de les appeler, en « comblement de passif » d’un déficit public qui lui pourtant presque exclusivement imputable !
Comment s’étonner, dès lors, que les élus locaux n’aient eu d’autre choix que d’actionner le peu de levier fiscal qu’il leur restait pour assurer le respect d’un équilibre budgétaire « réel » que l’État n’entend toujours pas s’appliquer à lui-même ? Non contentes d’être devenues la « vache à lait » des finances publiques, les collectivités sont victimes d’une double peine en devant assumer, auprès de l’opinion publique et surtout de leurs administrés, le coût politique du « ras-le-bol » fiscal, alors même qu’elles n’en sont que très marginalement responsables.
Les collectivités sont condamnées à voir l’inopérance croissante d’un ratio d’autonomie financièredont l’État peut facilement jouer sur le dénominateur et/ou le numérateur pour neutraliser la baisse réelle de leurs ressources propres.
ACP FORMATION : Existe-t-il alors une véritable autonomie financière ?
Xavier Robert : Fort de l’évolution, en apparence favorable pour les collectivités, du ratio d’ « autonomie » financière, l’État s’est ainsi prémuni de tout risque d’inconstitutionnalitéen cas de procès pour perte de « libre administration » des collectivités en arguant que toutes les compensations, même non indexées, de perte de bases fiscales et ce, quelle qu’en soit l’importance, n’obérerait pas les ressources « globales » des collectivités et donc la libre administration des collectivités territoriales. L’autonomie financière se réduirait donc à une approche uniquement budgétaire….
Le Conseil constitutionnel n’a ainsi eu d’autre choix que de valider systématiquement les différentes lois ayant abouti, de dégrèvements en exonérations, à priver les collectivités de près de 20 milliards d’euros de recettes fiscales locales.
Cette suppression représente ainsi près du double de la ponction de dotations déjà opérée depuis 2014, dont une partie était pourtant précisément censée compenser cette perte ! Or, si l’État appelle les collectivités à prendre leurs responsabilités en matière de politique fiscale, ce postulat ne peut reposer que sur le principe démocratique du consentement « citoyen » à l’impôt, bien entenduen contrepartie d’un efficient service public rendu, et doit donc s’appuyer sur une véritable maîtrise d’une partie « déterminante » de l’évolution de leurs bases fiscales, si faibles soient-elles devenues.
Pour en prendre pleinement conscience, le monde territorial aurait grand intérêt à faire remettre au goût du jour le « bon vieux » et véritable ratio d’autonomie financière (« Produit des impositions directes / recettes réelles de fonctionnement ») et de le mettre davantage en exergue au sein des ratios, pourtant dits « obligatoires » à faire apparaître dans les différents documents budgétaires locaux.
N’intégrant que le seul produit des contributions directes et excluant donc toutes les autres recettes de nature fiscale (dont une fiscalité indirecte bien trop dépendante de la conjoncture économique), ce ratio aurait vocation à devenir le véritable indicateur de degré d’autonomie financière des collectivités. S’établissant aujourd’hui, au mieux à 30% de leurs ressources de fonctionnement, on mesure subitement l’effet pernicieux, pour les collectivités, du ratio d’autonomie financière officiellement en vigueur et affichant un taux presque doublé, du fait des divers artifices comptables étatiques précédemment évoqués.
Les collectivités ont dès lors très peu de chances de bénéficier de la « clause de revoyure », « promise » au cas où le rapport annuel sur les ressources propres des collectivités locales viendrait à faireapparaître que le seuil minimum de 60% de ressources propres n’était plus respecté.
ACP FORMATION : qu’en conclure alors ?
Xavier Robert : Les ressources propres ne garantissent donc pas une véritable autonomie financière aux collectivités territoriales et le ratio officiel d’autonomie financière apparaît donc bel et bien comme un trompe-l’œil
Le levier fiscal local s’en trouve aujourd’hui si affaibli que les collectivités sont de plus en plus récitantes à l’activer, compte tenu de son rendement toujours plus faible au regard de son coût politique toujours croissant. Les édiles qui s’y sont prêtés en faisant prudemment en sorte de majorer une compensation encore incertaine de leur taxe d’habitation en voie de disparition et qui ont été aussitôt visés par la campagne « balance ton Maire !» viennent d’en faire l’amère expérience…
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