Circonstances exceptionnelles liées au Covid-19 et procédures d’appels d’offres en cours

Maître Solène Penisson, Avocat

La situation sanitaire actuelle en France et les mesures exceptionnelles pour les libertés d’aller et venir, de réunion et d’entreprendre prises par le gouvernement ces derniers jours provoquent de nombreuses questions pour les entreprises et les acheteurs soumis au Code de la commande publique. Que faire d’une procédure de passation d’un marché public en cours alors que les structures sont désorganisées ? Les délais de réponse et de remise des offres doivent-ils être prorogés ? Que se passe-t-il si l’acheteur refuse la prolongation des délais ? Ces interrogations, distinctes de celles liées à l’exécution d’un marché en cours (délais de paiement, pénalités, etc.), ne peuvent trouver pour l’instant que des réponses provisoires en l’attente de l’édiction de textes dédiés ou d’une jurisprudence établie.

Les mesures annoncées

Un rapide retour en arrière permet d’apprécier les mesures annoncées par le gouvernement et leurs effets sur les acheteurs et les entreprises. Dans son allocution télévisée du 15 mars 2020, le Président de la République s’est appuyé sur la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles pour prendre les principales mesures suivantes : fermeture des commerces non-essentiels à la vie du pays, obligation pour toutes les entreprises de s’organiser afin de faciliter le travail à distance, et en cas d’impossibilité, adapter leur organisation pour faire respecter les gestes barrières contre le virus, réduction stricte des déplacements et des contacts. Le Premier ministre a ainsi, par un décret n°2020-260 du 16 mars 2020, interdit tout déplacement de personnes sauf exceptions dont les déplacements entre le domicile et le lieu de l’activité professionnelle. Le justificatif de déplacement professionnel établit à cet effet par le gouvernement précise que ces déplacements « sont indispensables à l’exercice d’activités ne pouvant être organisés sous forme de télétravail ». Par un télégramme du 17 mars 2020, le Ministre de l’intérieur a indiqué que les activités ne générant pas de rassemblement de clientèles doivent se poursuivre notamment pour les livreurs et le travail en extérieur comme le bâtiment.

La succession rapide de ces mesures, inédites en temps de paix, conduit à de nombreuses interrogations dans l’organisation du travail. Faut-il être ou non une entreprise exerçant une activité essentielle au pays et ne pouvant organiser le travail à distance pour pouvoir obliger ses salariés à travailler ? Comment organiser le télétravail des salariés quand cela n’est pas déjà mis en place ? Les interprétations varient selon les employeurs et désorganisent d’autant plus les entreprises dans leurs réponses aux appels d’offres en cours. Dans ce contexte, quelle est l’attitude à adopter par les acheteurs ayant une procédure de passation d’un marché public en cours ? En effet, selon les secteurs, les opérateurs économiques seront plus ou moins impactés et réactifs pour répondre à une consultation. Ainsi, une entreprise dans le domaine du digital sera plus apte à mettre rapidement ses salariés au télétravail qu’une entreprise du bâtiment.

Le projet de loi portant sur l’Etat d’urgence sanitaire, en cours d’adoption par le Parlement, prévoit que le gouvernement peut prendre, par ordonnance, des mesures adaptant les règles de délais de paiement, d’exécution et de résiliation notamment celles relatives aux pénalités contractuelles et les clauses liées des contrats publics. Rien n’est expressément mentionné s’agissant des procédures en cours de passation.

En matière de délais liés aux procédures juridictionnelles, la Garde des sceaux a annoncé le 18 mars qu’un moratoire sur tous ces délais prendra rétroactivement effet au 14 mars 2020. Le gouvernement pourra légiférer dans ce domaine comme le prévoit le projet de loi sur l’Etat d’urgence sanitaire. Un tel mécanisme pourrait être prévu pour les procédures en cours de la commande publique.

A quoi peut-on s’attendre ?

Deux options sont donc envisageables : soit le projet de loi qui est adopté élargit la notion de délais à ceux liés aux procédures de passation des marchés et le gouvernement pourra légiférer par ordonnance, soit la latitude sera laissée au juge administratif pour estimer si, au vu des circonstances, l’acheteur devait reporter ces délais.

Dans l’attente, il est recommandé aux acheteurs de reporter les délais de réponse et d’accepter les demandes de report des entreprises. En effet, le juge pourrait reprocher à l’acheteur n’ayant pas adapté sa procédure de passation à la présente situation sanitaire une inégalité de traitement entre les candidats ; inégalités liées à la possibilité pour les structures d’avoir pu ou non organiser le télétravail de leurs salariés mais également, inégalités entre les candidats ayant pu répondre car n’ayant pas ou peu de salariés avec des personnes à charge (enfants, personnes âgées) et ceux n’ayant pas ces contraintes. Il ne faut pas oublier que le juge de la commande publique a une approche pragmatique de chaque situation. Dans le contexte actuel, restreignant de facto les activités des entreprises, le juge ne pourra qu’acter l’existence de circonstances exceptionnelles et sous ce prisme, analyser le comportement des acheteurs afin de s’assurer que les principes de la commande publique de liberté d’accès, transparence des procédures et égalité de traitement des candidats ont bien été respectés.

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