A l’occasion d’un arrêt en date du 8 avril 2019[1], le Conseil d’État a apporté plusieurs éclaircissements en matière de concessions de services sur le fondement de l’ordonnance n°2016-65 du 29 janvier 2016.
Matthieu Kluczynski, avocat associé au sein du cabinet MCH Avocats et formateur de notre organisme sur le sujet « DSP : externaliser ses services publics en toute sécurité », répond à nos interrogations sur ces diverses précisions jurisprudentielles.
Pour rappel, quel est le contexte de cet arrêt du Conseil d’Etat ?
Me Matthieu Kluczynski : La Ville de Cannes a souhaité attribuer une sous-concession pour l’exploitation d’une plage artificielle. La Société Bijou Plage a répondu à cette consultation mais son offre a été écartée au profit de la Société Bobo Plage.
Elle a alors décidé de contester son éviction, suscitant l’intervention du Tribunal administratif de Nice, lequel a annulé la procédure de passation. Mais cette ordonnance du juge des référé a ensuite été censurée par le Conseil d’Etat qui valide la régularité de la procédure de passation du contrat de concession de la Ville.
De l’appréciation de la durée d’une concession (i) et des caractéristiques minimales (ii), à la composition de la commission en charge des négociations (iii) en passant par l’examen de la régularité des critères de sélection des offres (iv) sans oublier l’analyse du juge sur la lésion du candidat évincé (v), les apports de cet arrêt sont tout aussi variés que d’importance.
Quelle précision est apportée sur la durée des DSP ?
Me Matthieu Kluczynski : La Société requérante a contesté la durée de la concession d’exploitation fixée à 12 ans. Ce moyen n’a pas laissé le Conseil d’Etat indifférent. Il rappelle que le choix de la collectivité quant à la fixation de la durée d’un contrat de concession est encadré et reproche à la Ville de ne pas apporter le moindre élément de nature à justifier que le contrat en cause puisse être conclu pour une telle durée. Pour autant, le Conseil d’Etat ne sanctionne pas la procédure de passation, faute de lésion de la Société requérante.
Il n’en demeure pas moins que cet apport doit inciter les autorités concédantes à la vigilance, lesquelles doivent fixer la durée de leurs concessions en tenant compte de la nature et du montant des prestations et des investissements demandés, sans oublier de conserver les éléments permettant de justifier ce choix.
Quelle lecture est proposée par le Conseil d’Etat concernant sur les caractéristiques minimales ?
Me Matthieu Kluczynski : Le requérant critiquait le fait que les documents de la consultation ne précisent pas les caractéristiques minimales à respecter, lesquelles ne peuvent pas donner lieu à négociation aux termes de l’article 46 de l’ordonnance du 29 janvier 2016.
Toutefois, le Conseil d’Etat estime que les caractéristiques minimales sont identifiables par la négative. Puisque, d’après les documents de la consultation, seuls les éléments impliquant une réponse des candidats pouvaient donner lieu à négociation, les autres éléments constituaient, par déduction, des caractéristiques minimales non négociables.
Cette solution – propre au cas d’espèce et résultant de la rédaction du règlement de consultation – ne doit évidemment pas dispenser les acheteurs de bien déterminer les exigences minimales.
Qu’en est-il de la commission en charge des négociations ?
Me Matthieu Kluczynski : Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de rappeler dans cette affaire l’option dont dispose l’autorité concédante pour organiser les négociations. Ainsi, l’autorité habilité à signer la convention peut, une fois que la Commission a arrêté la liste des candidats admis à présenter une offre, confier à une commission composée d’élus et d’agents de la Ville le soin de mener la négociation avec les différents candidats.
Mais surtout, selon le Conseil d’Etat, le fait que tous les membres de cette commission ne soient pas présents lors de l’entretien de négociation de l’un candidat ne constitue pas un manquement au principe d’égalité de traitement.
Quelle analyse opère le Conseil d’Etat sur les sous-critères de sélection des offres ?
Me Matthieu Kluczynski : Il est possible pour l’autorité concédante de retenir, au stade de l’analyse des offres, des critères relatifs à la qualification et à l’expérience des personnels affectés à l’exécution des prestations, sous réserve qu’ils soient non discriminatoires et liés à l’objet de la concession.
Cette possibilité mise en œuvre par la Ville a été validée par le Conseil d’Etat dès lors que l’autorité concédante n’a pas entendu se fonder sur les capacités générales de l’entreprises – ce qui relèverait de l’examen des candidatures – mais seulement sur l’aptitude de l’équipe et des personnes spécifiquement dédiées à l’exécution de la concession.
En revanche, le sous-critère fondé sur le chiffre d’affaires prévisionnel du candidat pendant toute la durée de la concession a davantage suscité l’émoi de la Haute Juridiction. En effet, ce sous-critère repose sur les seules déclarations des soumissionnaires, sans engagement contractuel de leur part et sans possibilité pour la commune d’en contrôler l’exactitude.
Certes, ce manquement ne résiste pas – dans cette affaire – au filtre de la lésion compte tenu de l’ordre décroissant des critères, mais l’irrégularité constatée doit faire figure d’enseignement. Les autorités concédantes ne peuvent pas prendre pour critères de sélection des éléments déclaratifs des candidats ne permettant pas de sélectionner la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante.
Quelle précision est donnée concernant l’appréciation de la lésion du candidat ?
Me Matthieu Kluczynski : Le Conseil d’État regrette que le Tribunal administratif n’ait pas recherché si le critère irrégulièrement appliqué avait eu une influence globale sur le classement de l’offre et si le candidat requérant était susceptible d’être lésé par en conséquence.
Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que la lésion implique de vérifier si la mise en œuvre d’un tel critère irrégulier a bel été bien été de nature – au regard de sa pondération ou hiérarchisation – à influencer le classement du candidat. Une appréciation concrète de chaque situation et de chaque irrégularité est donc nécessaire pour apprécier l’influence globale du(des) manquement(s) constaté(s).
La jurisprudence « Smirgeomes »[2] a encore de beaux jours devant elle.