Commande publique : les petites entreprises au cœur des enjeux de l’ordonnance du 17 juin 2020

Le droit de la commande publique poursuit son adaptation aux conséquences du Covid-19. Après l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 visant à adapter les règles applicables aux contrats de la commande publique pendant la crise sanitaire, modifiée notamment par l’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020, la loi n°2020-734 du 17 juin 2020 et l’ordonnance n°2020-738 du 17 juin 2020 sont intervenues pour adapter encore davantage les règles de l’achat public.

L’objectif manifeste de ces textes est d’ériger la commande publique en outil de reprise de l’activité, en atténuant les potentiels effets durables de la crise sur les entreprises.

En adoptant trois nouvelles mesures, la loi et l’ordonnance du 17 juin entendent éviter que la baisse de l’activité des entreprises du fait de la crise et des mesures de confinement, ne les pénalise durablement, à l’occasion de nouvelles consultations ou au cours de l’exécution de contrats dont elles sont déjà titulaires.

La vigilance des acheteurs est attirée sur le fait que ces mesures sont applicables depuis le 19 juin 2020 et durant une période variable en fonction de la mesure concernée.

 

Mesure n°1 : Protéger les entreprises mises en redressement judiciaire en leur garantissant l’accès à la commande publique

En premier lieu, l’ordonnance prévoit une mesure particulièrement favorable aux entreprises en situation de fragilité. En effet, les entreprises admises à la procédure de redressement judiciaire ne peuvent plus être exclues, pour ce motif, de la procédure de passation des marchés et des contrats de concession lorsqu’elles bénéficient d’un plan de redressement.

Cette adaptation vise à permettre aux entreprises en difficulté de bénéficier de l’effet levier de la commande publique pour se remettre de la crise, mais encore d’inciter à une pratique uniformisée des acheteurs sur cette question. Toutes les entreprises bénéficient ainsi d’un régime protecteur renforcé pour accéder aux contrats de la commande publique.

Dans le même sens, la loi n°2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire prévoit une dérogation à l’article L.2195-4 du Code de la commande publique (CCP). Cet article interdisait la résiliation si le titulaire du marché avait préalablement informé sans délai l’acheteur de son changement de situation. Si cette règle se voulait déjà protectrice des entreprises en difficulté, sa dérogation temporaire l’est encore davantage.

Ainsi, l’acheteur ne peut procéder à la résiliation unilatérale d’un marché public au motif que le titulaire serait admis à la procédure de redressement judiciaire instituée par l’article L. 631-1 du Code de commerce ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger, dès lors que cette admission intervient avant le 10 juillet 2021 inclus.

En principe, la résiliation d’un contrat de la commande publique demeurait donc possible, mais l’acheteur devra soigneusement démontrer que cette sanction ne résulte pas de la mise en redressement judiciaire du titulaire. Il conviendra alors de mettre en exergue une faute contractuelle avérée et suffisamment sérieuse de l’opérateur ou encore un motif d’intérêt général justifiant de mettre prématurément fin au contrat en cause.

 

Mesure n°2 : Prendre en compte dans les marchés globaux la part de prestation confiée à des PME ou des artisans

En deuxième lieu, l’ordonnance s’intéresse aux marchés globaux mentionnés à l’article L.2171-1 du Code de la commande publique, à savoir les marchés de conception-réalisation, les marchés globaux de performance et les marchés globaux sectoriels. En effet, le recours à ce type de marché pourrait s’intensifier dans un contexte de relance de l’activité et de projets publics.

Ainsi, à compter du 19 juin 2020 et jusqu’au 10 juillet 2021, un tel marché doit prévoir la part minimale du contrat que le titulaire s’engage à confier directement ou indirectement à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans.

Cette part ne peut être inférieure à 10 % du montant prévisionnel du marché, sauf lorsque la structure économique du secteur concerné ne le permet pas, cette exception suscitant un aléa d’interprétation que le juge administratif risque de devoir clarifier.

A cet égard, au cours de la détermination des critères d’attribution du marché global, l’acheteur doit tenir compte de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans. L’ordonnance étend ainsi la règle prévue par l’article L.2222-4 du Code de la commande publique pour le marché de partenariat.

 

Mesure n°3 : Interdiction de prendre en compte la baisse du CA pour ne pas « pénaliser deux fois » les entreprises

En troisième lieu, l’ordonnance cherche à préserver la possibilité pour les entreprises de candidater à de futurs contrats sans être pénalisées par un faible résultat lié à la période de crise et de nature à impacter le chiffre d’affaire global.

Ainsi, dans l’hypothèse ou, dans le cadre d’une consultation, la capacité économique et financière des opérateurs économiques nécessaire à l’exécution du marché ou du contrat de concession serait appréciée au regard du chiffre d’affaires, l’acheteur ou l’autorité concédante ne pourra pas tenir compte de la baisse du chiffre d’affaires intervenue au titre du ou des exercices sur lesquels s’imputent les conséquences de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. Le texte envisage ainsi un impact sur un ou plusieurs exercices, ce qui n’est pas neutre.

Pour donner tout son sens à cette disposition, et étant donné que la capacité financière des candidats est appréciée au regard du résultat des trois années précédentes, cette disposition est applicable jusqu’au 31 décembre 2023 afin de garantir l’effet utile de cette mesure.

Ces textes envisagent ainsi quelque mesures concrètes pour protéger les petites entreprises et les artisans, mais ils sont encore loin de répondre à toutes les questions que se posent aujourd’hui les acheteurs pour tirer les conséquences du Covid sur leurs contrats en cours et les consultations à venir. A n’en pas douter, ces mesures ne tarderont pas à être complétées par d’autres adaptations utiles.

 

Matthieu Kluczynski
Avocat à la Cour
MCH Avocat

 

Pour appronfondir ce sujet, nous vous recommandons la formation Gérer les impacts du Covid-19 sur les contrats publics le 9 juillet 2020