Quand la commande publique se dessine en outil de politique publique

La commande publique représente aujourd’hui près de 8 % de notre PIB. Cette masse économique lui confère un rôle majeur de sorte que, progressivement, la commande publique est devenue un levier de l’action publique.

Qu’il s’agisse d’autorités centrales ou de collectivités territoriales au plus près des citoyens, les « acheteurs » au sens des articles L.1210-1 et suivants du Code de la Commande Publique (CCP) sont invités à dépasser le strict « achat » pour tenir compte d’enjeux de politique publique.

Ainsi, si les achats doivent permettre « d’assurer l’efficacité de la commande publique » (art. L.3 du CCP), l’optimisation de l’achat implique encore d’atteindre des objectifs économiques et sociaux.

L’entrée en vigueur du Code dédié à la commande publique (CCP) au 1er avril 2019 a permis de concrétiser davantage les objectifs d’intérêt général assignés à l’achat public. La volonté de favoriser l’insertion sociale, de permettre l’intégration de personnes défavorisées, ou encore la protection de l’environnement et le développement durable impliquent – concrètement – de mettre en œuvre des règles allégées, voire dérogatoires.

Toutefois, la mobilisation de la commande publique au soutien de ces diverses ambitions est loin d’être neutre pour les professionnels de l’achat public. Ces dernières années ont été marquées par une accélération sans précédent de la codification sur ce segment, nécessitant une compétence professionnelle éprouvée mais aussi l’ambition de se réinventer. L’acheteur et le juriste sont invités à sortir de leur zone de confort et à s’aventurer sur des pratiques nouvelles, comme le suggère l’expérimentation des « achats innovants » lancée pour 3 ans (décret du 24 décembre 2018).

Tandis que le rôle des acteurs était essentiellement centré sur le sujet budgétaire en vue de la bonne utilisation des deniers publics, les acheteurs doivent dorénavant s’accoutumer d’orientations variées comme en atteste la loi du 10 février 2020 sur l’économie circulaire et l’émergence de « la commande publique circulaire ».

Parallèlement, la commande publique veut se montrer réactive. En témoigne la pluralité de mesures adoptées dans le cadre du contexte de la crise sanitaire de la Covid-19 dès l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020, afin de faire face à l’urgence de la situation. De manière plus pérenne, l’ordonnance n°2020-738 du 17 juin 2020 a érigé la commande publique en outil de reprise de l’activité, en atténuant les potentiels effets durables de la crise sur les entreprises.

La libéralisation de l’achat public par le relèvement des seuils de procédure constitue ainsi un outil de relance de l’activité économique. Tandis qu’au 1er janvier 2020, le seuil de publicité et de mise en concurrence est passé de 25 000 € HT à 40 000 € HT (décret n°2019-1344, du 12 décembre 2019), la crise sanitaire a accéléré les discussions sur l’éventuel rehaussement de ce seuil, lequel est aujourd’hui fixé à 70 000 € HT mais uniquement en matière de travaux et seulement pendant une période transitoire, jusqu’au 10 juillet 2021 (décret n°2020-893 du 22 juillet 2020).

A peine ces textes adoptés, la dynamique fulgurante d’ajustement de la réglementation en faveur de la relance économique se poursuit avec le projet de loi d’Accélération et de Simplification de l’Action Publique (ASAP). L’objectif est clair : assouplir davantage des règles parfois jugées trop contraignantes pour réactiver les projets publics et faciliter l’accès des PME en situation de fragilité. Tandis qu’il est envisagé d’inscrire dans la durée les adaptations du droit de la commande publique à la Covid-19, d’autres mesures visent encore à « élargir » davantage la voie des marchés publics sans mise en concurrence, le seuil de 100 000 € HT en matière de marchés de travaux étant notamment en passe d’être atteint…

Et les chantiers ne s’essoufflent gère. La réforme des Cahiers des Clauses Administratifs Généraux (CCAG) impliquera la découverte et la prise en main de nouveaux documents contractuels à maitriser pour le 1er avril 2021, date annoncée de leur entrée en vigueur.

Si les objectifs de lisibilité et de sécurité ont présidé au choix de cette réécriture, le rééquilibrage attendu des relations contractuelles et les nouvelles mesures annoncées risquent de modifier substantiellement les règles connues et pratiquées de tous. L’adaptation à l’ère du numérique, l’intégration de la protection des données personnelles sans compter les autres enjeux à atteindre (achat durable, clause sociale, accès des PME) révolutionneront ainsi les pratiques d’achats mais encore l’exécution des marchés de demain.

« L’avenir n’est peut-être qu’un perfectionnement »[1]. En matière de commande publique, l’avenir est surtout au renouvellement.

 

Matthieu Kluczynski

Avocat Associé

MCH Avocats

 

[1] Jules Renard, Journal (1887-1910)