Le projet de loi « ASAP » : une douce évolution bien plus qu’une révolution !

Le projet de loi d’Accélération et de Simplification de l’Action Publique (ASAP) est au cœur de l’actualité de la commande publique depuis quelques semaines. Ce projet assume son intention de favoriser la relance de l’économie et de faciliter l’accès des PME à la commande publique en assouplissant davantage des règles parfois jugées trop contraignantes.

Bien que le texte ne soit pas encore connu dans sa version définitive, nous vous proposons un tour d’horizon des principales mesures envisagées à ce jour, notamment issues des amendements proposés par le Gouvernement.

Tandis que certaines mesures s’inscrivent dans la continuité des textes relatifs à l’adaptation temporaire du droit de la commande publique à la Covid -19 (I.), d’autres poursuivent l’objectif de faciliter l’accès des PME à la commande publique (II.). Le texte prévoit encore « d’élargir » la voie aux marchés publics sans mise en concurrence (III.) tout en réajustant le droit de la commande publique sur des sujets restés en débat depuis la réforme de 2016 et la transposition des directives communautaires (IV.).

N.B : Cet article prend en compte la version du projet de loi tel que modifié par l’Assemblée Nationale en première lecture en date du 7 octobre 2020.

 

1. Les mesures inscrivant dans la durée les adaptations issues de la Covid-19

 L’émergence de la crise sanitaire a suscité l’adoption de nombreux textes, notamment en droit de la commande publique, afin d’adapter la réglementation aux conséquences de la pandémie. Principalement, il s’agit de l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020, modifiée à plusieurs reprises, et ajustant tant les règles de passation (adaptation des procédures de mise en concurrence en cours de consultation) que les règles d’exécution (modification des contrats en cours, avenant de prolongation, exonération des pénalités contractuelles, marché de substitution, etc.).

Le texte prévoit ainsi d’introduire durablement dans la commande publique ces mécanismes initialement envisagés à titre dérogatoire. Néanmoins, ces règles particulières ne seraient applicables qu’en temps de crises d’un particulière gravité, qualifiées de « circonstances exceptionnelles » : une guerre, une crise économique majeure, une catastrophe naturelle, une pandémie.

Toutefois, le texte précise que l’application de l’ensemble ou de certaines de ces mesures dépendra d’un décret d’application spécifique.

 

2. Les mesures en faveur de l’accès des PME à la commande publique

a. Eriger en critère de choix la part de travaux confiée à des PME

La proposition prévoit que l’acheteur devra obligatoirement tenir compte, parmi les critères d’attribution des marchés globaux (marchés de conception-réalisation, marchés globaux de performance et marchés globaux sectoriels), de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engagera à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans. Ce texte étend ainsi la règle prévue par l’article L.2222-4 du Code de la commande publique pour le marché de partenariat.

Le marché devra donc comporter la part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des PME ou des artisans, cette part minimale étant déterminée dans des conditions prévues par voie réglementaire.

Cette mesure vise ainsi à pérenniser le dispositif transitoire envisagé par l’ordonnance du 17 juin 2020, laquelle prévoit déjà qu’à compter du 19 juin 2020 et jusqu’au 10 juillet 2021, un marché global doit prévoir la part minimale du contrat que le titulaire s’engage à confier directement ou indirectement à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans, laquelle ne peut être inférieure à 10 %.

b. Garantir l’accès aux marchés aux entreprises en situation de redressement

Le projet de loi vient aligner le Code de la Commande Publique sur la jurisprudence administrative concernant le cas de la mise en redressement judiciaire d’une société.

La réglementation prévoyait qu’une société en redressement judiciaire pouvait être écartée d’une consultation dès lors qu’elle ne justifiait pas avoir été habilitée à poursuivre son activité pendant la durée prévisible d’exécution du marché public. Le Conseil d’État avait précisé l’interprétation à retenir de cette règle en considérant que « la circonstance que le plan de redressement mis en place par ces jugements prévoyait l’apurement du passif sur une durée limitée et que la durée d’exécution du marché excédait, en l’espèce, la durée d’apurement du passif restant à courir était à cet égard sans incidence, le plan de redressement ne limitant pas dans le temps la poursuite de l’activité de l’entreprise. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le marché ne pouvait être attribué à la société Dauphin Télécom au motif qu’elle se serait trouvée dans le cas d’interdiction prévu par le c) du 3° de l’article 45 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 doit être écarté » (CE, 25 janvier 2020, Société Dauphin, req. n°421844).

Ainsi, l’opérateur ne pourra plus voir son marché résilié au seul motif qu’une procédure de mise en redressement judiciaire est ouverte.

A noter que cette mesure était déjà envisagée de manière transitoire par l’ordonnance n°2020-738 du 17 juin 2020. Nous avions alors relevé que cette mesure est particulièrement favorable aux entreprises en situation de fragilité.  Cette adaptation vise à permettre aux entreprises en difficulté de bénéficier de l’effet levier de la commande publique pour se remettre de la crise, mais encore d’inciter à une pratique uniformisée des acheteurs sur cette question. Toutes les entreprises bénéficient ainsi d’un régime protecteur renforcé pour accéder aux contrats de la commande publique.

 

3. Le recours au marché public sans publicité ni mise en concurrence au motif de l’intérêt général

La mesure qui fait aujourd’hui l’objet de nombreux commentaires concerne un « nouveau cas » de recours au marché public sans publicité ni mise en concurrence au titre d’un motif d’intérêt général. D’emblée, il convient de relativiser les débats autour de cette nouvelle mesure, au moins à deux égards.

De première part, le législateur a ajouté la mention « ou à l’intérêt général » à l’article L. 2122-1 du CCP, ce qui signifie que l’acheteur pourrait être exempté d’une procédure de mise en concurrence lorsque – au regard de cas particuliers – la tenue d’une procédure de mise en concurrence serait contraire à l’intérêt général.

De seconde part, les cas de dispenses de publicité et de mise en concurrence sont précisés dans la partie réglementaire du CCP, de manière exhaustive et, à ce stade, ces articles ne sont pas complétés par l’hypothèse de l’intérêt général, même si le Gouvernement est dorénavant habilité à intervenir.

Par conséquent, la fenêtre permettant la conclusion d’un marché public sans publicité ni mise en concurrence reste à peine entrebâillée, le législateur ménageant seulement la possibilité de tenir compte de l’intérêt général, notion dont les contours demeurent flous.

Laure Bédier, Directrice des Affaires Juridiques du ministère de Bercy a d’ailleurs récemment précisé que cette mesure n’a pas vocation à permettre aux acheteurs publics d’apprécier discrétionnairement si une situation d’intérêt général justifie de déroger aux règles de mise en concurrence, mais permet uniquement d’ouvrir la voie à une éventuelle modification du droit de la commande publique, sous le contrôle du Conseil d’État.

La révolution annoncée par certains n’a donc pas encore lieu.

 

4. Des mesures d’adaptation attendues depuis la réforme de 2015/2016

a. La fluidification des prestations d’avocat dans un cadre contentieux

 La relation entre une personne publique et son conseil juridique nécessite de tisser un lien de confiance qu’il est difficile d’articuler avec les formalités de publicité et de mise en concurrence du CCP. A noter que le droit communautaire est à ce jour plus souple que le droit national de sorte que l’on parle de « sur-transposition » des directives communautaires sur ce point.

Le projet de loi permet ainsi aux personnes publiques de confier à un avocat des prestations de services de représentation en justice ou dans le cadre d’un règlement alternatif des conflits (contentieux), mais encore des services de consultation juridique en vue de la préparation de la procédure ou en cas de forte probabilité de contentieux (précontentieux).

Les acheteurs disposent donc de davantage de souplesse pour pérenniser la relation de travail avec leur avocat ou, au contraire, faire appel à de nouveaux conseils pour une mission ponctuelle relevant du champ contentieux ou précontentieux.

b. L’application des nouvelles règles de modification aux contrats antérieurs

 Les règles du Code de la Commande Publique concernant les modifications des contrats en cours ne s’appliquent pas de la même manière aux marchés publics et au contrats de concessions. Tandis que le nouveau régime des avenants s’applique à toutes les concessions, y compris celles conclues avant la réforme de 2016, elles ne s’appliquent qu’aux marchés publics conclus après l’entrée en vigueur des textes.

Le projet de loi prévoit une harmonisation des règles à tous les contrats, lesquelles seront donc applicables à tous les marchés publics, même ceux conclus avant 2016, ce qui permet d’éviter la coexistence de deux régimes juridiques différents selon les contrats en cause.

Reste donc à connaître le sort final réservé à ce projet de loi modifiant sur plusieurs points le droit de la Commande publique, lesquels devront être précisés par voie réglementaire.

 

 

Matthieu Kluczynski
Avocat à la Cour
MCG Avocat AARPI

 

 

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