La modification unilatérale d’un contrat de concession entaché d’une irrégularité : une faculté encadrée

Saisir le juge du référé mesures-utiles pour faire respecter les obligations contractuelles

Par un arrêt en date du 8 mars 2023 (CE, 8 mars 2023, Préfet de Paris c. SIPPEREC, n°464619, disponible sur le lien suivant : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2023-03-08/464619), le Conseil d’État confirme la possibilité pour la personne publique cocontractante de modifier unilatéralement un contrat administratif dans l’intérêt général, sous réserve que la purge du vice porte sur une clause illicite ET divisible.

Le 16 décembre 2021, le Comité syndical du syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (« SIPPREREC ») a procédé, par trois délibérations, à la modification unilatérale des conventions de concession de distribution et de la fourniture d’électricité qu’elle a conclu avec les Société EDF et ENEDIS.

Le 18 mars 2022, le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, saisi par déféré sur le fondement de l’article L. 554-1 du Code de justice administrative, a fait droit à la demande de suspension des trois délibérations, présentée par le Préfet de Paris.

Ayant été débouté en appel par le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris, le SIPPEREC a décidé de se pourvoir en Cassation. A cette occasion, le Conseil d’État rappelle que la « personne publique dispose de la prérogative de modifier unilatéralement le contrat dans l’intérêt général sous réserve de préserver l’équilibre financier du contrat au nom de l’exigence de loyauté des relations contractuelles ».

Une personne publique notamment peut recourir à cette prérogative lorsqu’une clause du contrat est affectée d’une irrégularité afin de remédier au vice constaté.

Toutefois, cette faculté ne peut s’exercer que si la clause présente un « caractère illicite [quant à] son contenu et à condition qu’elle soit divisible du reste du contrat ».

Concrètement, la purge d’une telle clause est subordonnée à deux conditions cumulatives : son caractère illicite et divisible.

Si la clause est illicite mais indivisible, et si l’irrégularité est d’une particulière gravité, la personne publique peut alors « résilier unilatéralement le contrat sans qu’il soit besoin qu’elle saisisse au préalable le juge » sous réserve de respecter « l’exigence de loyauté des relations contractuelles ».

Cependant, l’indivisibilité doit être examinée au même titre que l’illicéité afin de vérifier la légalité de la modification unilatérale.

Or, en l’espèce, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Paris a manifestement omis d’apprécier le second critère relatif de la divisibilité de la clause pour apprécier la légalité des trois délibérations litigieuses…

C’est ainsi que le Conseil d’État a retoqué la solution dégagée par la Cour administrative au titre de l’erreur de droit en ce qu’elle a validé la légalité des délibérations sur le motif exclusif des « stipulations illicites ».

Le doute sérieux sur la légalité des délibérations étant établi, les juges du Palais Royal ont donc fait droit à la demande d’annulation de la Société SIPPEREC.

Dans la continuité de sa jurisprudence (CE, ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers « Béziers I », n°304802 ; CE, 1er juillet 2019, Commune de Béziers dit « Béziers II », n°412243), le Conseil d’État recherche à maintenir l’équilibre délicat entre la préservation du caractère exorbitant du pouvoir de modification unilatérale des personnes publiques nom de l’intérêt général, et la préservation des intérêts du cocontractant au nom de la loyauté des relations contractuelles.

Didactique, sa solution invite les autorités concédantes à faire montre d’une vigilance accrue quant au caractère divisible de la clause illicite, afin de se prémunir de tout risque de purge abusive et illégale.

 

Matthieu Kluczynski, Avocat Associé, ADMYS Avocats

En corédaction avec Hélène Hardy, Avocate au cabinet ADMYS Avocats