Les bonnes pratiques pour limiter les recours des candidats sur les marchés publics

L’analyse des candidatures : enfin un outil optimal pour une méthode fiable

THOMAS VILLAIN

Responsable de la commande publique

VILLEURBANNE 

 

ACP FORMATION : Depuis les années 2000, plusieurs réformes des marchés publics se sont succédé. Quels sont, selon vous, les impacts de cette évolution réglementaire en terme de contentieux ?

Thomas VILLAIN : J’ai commencé à exercer dans le domaine de la commande publique au tournant des années 2000, à l’occasion de la nouvelle codification des marchés publics, survenue en 2001 après une décennie de textes relatifs à la prévention de la corruption, faisant suite à d’importants scandales médiatiques impliquant des donneurs d’ordre publics.

Ce texte, qui visait à introduire plus de transparence et de rigueur dans la passation des marchés publics, a eu pour effet de transformer l’acte d’achat en acte principalement juridique, la principale préoccupation des acheteurs publics devenant désormais d’éviter les accidents de procédure susceptibles d’entraîner l’annulation des décisions et des contrats.

Lorsqu’en 2004, un nouveau texte est venu transposer les directives européennes et corriger certaines dispositions du Code de 2001, ses auteurs ont souhaité insister sur le caractère économique de l’acte d’achat, tout en lui conservant ses caractéristiques d’acte juridique susceptible de faire grief, assorti d’une batterie de voies de recours à l’usage des entreprises évincées.

Cette double nature de l’acte d’achat public, à la fois juridique et économique, a perduré dans le cadre de la réforme suivante, en 2006. A cette période, la moindre anomalie procédurale, même vénielle, pouvait entraîner l’annulation de la procédure à la demande d’une entreprise écartée.

Lors de cette période d’instabilité réglementaire, les pouvoirs adjudicateurs (les personnes publiques ou privées soumises à la réglementation des marchés publics) ont subi de nombreux contentieux de la passation et ont donc, pour la majorité d’entre eux, concentré leurs efforts davantage sur la sécurité juridique de leurs actes que sur la juste expression de leurs besoins d’achat et sa formalisation contractuelle.

En forçant un peu le trait, on peut dire qu’un bon achat était un achat qui n’était pas annulé par le juge administratif,  plutôt qu’un achat adapté aux besoins et conclu sur la base de l’offre économiquement la plus avantageuse.

Par deux décisions, en 2008 et 2009, le Conseil d’Etat a desserré l’étau dans lequel les pouvoirs adjudicateurs s’estimaient pris, le juge recherchant désormais si le requérant est « susceptible d’avoir été lésé ou risque d’être lésé par des manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, fût-ce de manière indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (arrêt Smirgeomes, 3 octobre 2008 (n° 305420), et le recours n’étant plus recevable que si le requérant parvient à démontrer que les manquements qu’il dénonce l’ont désavantagé ou ont été susceptibles de le faire, notamment en l’empêchant de présenter une offre (Commune Savigny-sur-Orge, 6 mars 2009,  n° 315138). Un moyen faisant référence à un vice de forme n’ayant pas affecté les chances du requérant d’obtenir le contrat devenait donc inopérant.

Depuis, les réformes réglementaires se suivent (2015-2016, puis plus récemment 2018, avec un Code de la commande publique entrant en vigueur au 1er avril 2019), qui tendent à clarifier, simplifier, rendre plus transparent l’acte d’achat, tout en offrant des outils de professionnalisation des acheteurs publics.

Le profil type des responsables achats des collectivités a d’ailleurs largement muté en une quinzaine d’années, glissant du juriste spécialisé dans le traitement des procédures à celui de l’acheteur formé aux techniques du secteur privé. Le contexte de raréfaction des ressources financières du bloc communal y a évidemment fortement contribué.

Aujourd’hui, un candidat évincé dispose toujours d’une importante batterie de voies de recours, même s’il ne peut plus faire feu de tout bois en soulevant tous les moyens possibles.

Cet éventail reste impressionnant, sur le papier : recours gracieux, référé précontractuel, référé contractuel, recours pour excès de pouvoir, recours des tiers concurrents évincés en contestation de validité du contrat (recours Tropic), recours ouvert aux tiers au contrat (recours Tarn-et-Garonne).

L’accès à la commande publique reste compliqué pour les entreprises, notamment pour les PME ; multiplicité des supports de publication et des profils acheteurs, lourdeur administrative des dossiers de consultation, complexité apparente des démarches d’obtention de certificats de signature électronique.

Les opérateurs économiques ont cependant, je crois, changé le regard qu’ils portaient sur l’achat public, et perçoivent davantage les donneurs d’ordre comme des partenaires que comme des prescripteurs ayant leurs favoris et leurs listes noires. Pour autant, notre société est traversée par une demande toujours plus grande de transparence, de traitement individualisé des réponses de l’administration et d’exigence d’immédiateté dans les réponses. Le temps de l’administration ne peut plus être un temps long. Il faut décider vite, communiquer rapidement sur cette décision, et savoir la justifier sans laisser de doutes sur son bien-fondé.

 

 ACP FORMATION : A la Ville de Villeurbanne vous avez un taux de recours très faible. Comment l’expliquez-vous ? Quelles sont vos bonnes pratiques pour prévenir les litiges ?

Thomas VILLAIN :   La Ville de Villeurbanne (150.000 habitants), où j’exerce mes missions, publie chaque année une centaine d’avis d’appel public à la concurrence et reçoit en moyenne 7 offres par consultation. Elle reçoit chaque année, une ou deux lettres d’observation du Préfet, demandant des précisions sur les consultations menées, et… aucun recours en contestation de la part de candidats évincés ou de tiers s’estimant lésés par la conclusion de marchés municipaux, alors qu’elle signe 250 marchés par an.

Elle n’est destinataire que d’une poignée de demandes de communications de documents administratifs, les fameuses « demandes CADA » de la part de candidats évincés qui souhaiteraient obtenir la transmission des analyses des offres et des contrats des entreprises attributaires, soit parce qu’elles suspectent « un loup » soit pour contribuer à la mise en œuvre de leurs systèmes d’amélioration continue.

Je crois que cet indicateur de taux de recours très faible, qui témoigne de la confiance que nous accordent les opérateurs économiques s‘explique par plusieurs raisons :

  • Une analyse du besoin assez bien connectée à la réalité des secteurs économiques

En recourant au benchmark, au sourcing et en portant une attention particulière à la formulation de leur juste besoin, les services municipaux produisent des cahiers des charges qui appellent des offres. Nous nous efforçons de en pas rechercher de moutons à cinq pattes !

Nous cherchons également à démystifier la réponse aux marchés publics par des temps d’échange institutionnels, la participation à des salons, à des réseaux…

  • Une pédagogie appuyée dans les règlements de la consultation, associée à une volonté de simplifier les démarches des candidats

Les dossiers soumis aux entreprises sont très explicites sur les modalités de remise des offres, sur les critères et modalités de choix, tout en mobilisant tous les outils légalement disponibles pour simplifier la réponse : DUME*, coffre-fort de dépôt des attestations, non sollicitation de documents déjà remis lors de consultations antérieures, signature électroniquement uniquement lorsqu’elle est réglementairement obligatoire.

  • Une information des candidats non retenus transparente et immédiate

L’information des candidats non retenus sur les motifs de rejet de leur offre advient le jour même de la décision, de façon instantanée par Lettre recommandée électronique. Cette immédiateté de réponse contribue, je crois, à satisfaire les attentes légitimes de transparence et d’équité des opérateurs économiques qui ont pris le temps d’étudier nos cahiers des charges et d’y apporter une réponse.

Même en dessous des seuils auxquels il est obligatoire, la Ville s’astreint à un délai de suspension, avant la notification de ses marchés, pour permettre aux candidats d’introduire d’éventuels recours.

Lorsque la Ville est saisie d’une demande de communication de documents, nous nous efforçons là aussi de faire preuve de pédagogie, en rappelant, jurisprudence de la CADA à l‘appui, pourquoi et comment telle ou telle information est communicable ou non. Lorsque la demande survient avant que le document sollicité ait revêtu un caractère communicable, je suis vigilant à ce que nous accusions réception de la demande en indiquant à quelle date nous serons en mesure d’y donner une suite favorable.

Selon moi, ce triple constat traduit assez bien les évolutions des métiers de la commande publique depuis une quinzaine d’années : maîtrise du cadre juridique, maturité des organisations achat, appétence pour l’innovation et une approche plus partenariale avec les entreprises.

 

ACP FORMATION : Le Code de la commande publique applicable au 1er avril fait-il évoluer les choses en terme de prévention des litiges ?

Thomas VILLAIN :Le nouveau Code de la commande publique, applicable au 1er avril 2019, quant à lui, ne devrait pas révolutionner la pratique des acheteurs, mais sera, à mon avis, gage, aux yeux des entreprises,  d’un achat public plus simple, plus lisible, permettant notamment aux PME, de saisir pleinement les nombreuses opportunités économiques offertes pour répondre aux besoins des acheteurs publics.

 

Il intègre également l’ensemble des dispositifs relatifs aux règlements alternatifs des litiges, afin d’inciter les acteurs à adopter une approche rapide et non contentieuse de résolution de leurs éventuels différends.

 

* DUME : Le Document Unique de Marché Européen est une déclaration sur l’honneur harmonisée et élaborée sur la base d’un formulaire type établi par la Commission européenne. Ce service dématérialisé permet aux opérateurs économiques de prouver de manière simple et conformément au droit en vigueur qu’ils remplissent les critères de sélection d’une offre et n’entrent pas dans un cas prévu par les interdictions de soumissionner, et leur permet également de ne plus avoir à fournir un document lorsque celui-ci a déjà été transmis à une administration.

 

Pour aller plus loin, nous vous invitons à suivre notre formation « Litiges et contentieux dans les marchés publics » à Paris, Lyon, Lille, Rennes, Bordeaux et Strasbourg .