Domaine privé et mise en concurrence : que faut-il déduire de la réponse ministérielle tant commentée ?

Une réponse ministérielle en date du 29 janvier 2019[1] n’est pas passée inaperçue. Elle a suscité l’émoi des personnes publiques et la prolifération de commentaires en quelques semaines. Il faut dire que le sujet est éminemment sensible, la réponse du gouvernement portant sur l’obligation de mise en concurrence des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques. Si – il faut l’admettre – cette réponse va plus loin que les textes aujourd’hui en vigueur, il convient de se garder d’une interprétation trop extensive.

Le principe de liberté de gestion du domaine privé des personnes publique

L’ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques a introduit l’article L.2122-1-1 du CG3P selon lequel lorsque un titre d’occupation permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente doit organiser librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.

Cet article limite ainsi son champ d’application aux occupations autorisées sur le domaine public, la gestion du domaine privé relevant en revanche de l’article L. 2221-1 du CG3P. Aux termes de cet article, les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé, comme des particuliers disposant de la libre disposition des biens qui leur appartiennent.

Pourtant cet équilibre initial serait remis en cause par la réponse du Ministre de l’Économie et des finances.

Un principe remis en cause par l’indifférence du droit de l’Union à la notion de domanialité ?

Aux termes de la position du gouvernement, l’ordonnance du 19 avril 2017 précitée n’a pas modifié en droit interne les règles régissant l’attribution des titres d’occupation du domaine privé des personnes publiques.

Cependant, selon le Ministre, il résulte de la jurisprudence « Promoimpresa » de la CJUE, en date du 14 juillet 2016[2], que les autorités gestionnaires du domaine privé doivent mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du CG3P.

En effet, cette décision soumet à des principes de transparence et de sélection préalable l’octroi de toute autorisation qui permet l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel, sans opérer de distinction selon que cette activité s’exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques.

Toujours selon ladite réponse, la délivrance de titres sur le domaine privé doit dès lors « garantir dans les mêmes termes le respect des principes d’impartialité, de transparence et d’égalité de traitement des candidats ».

L’obligation de mise en concurrence dépendrait surtout de la « rareté de la ressource » occupée.

Or l’unique fondement juridique de cette réponse, à savoir ladite décision « Promoimpresa » de la CJUE, n’impose pas de manière générale et absolue l’organisation d’une procédure de mise en concurrence avant l’attribution de titres d’occupation.

En effet, dans cette affaire, le juge de l’Union considère qu’une telle mise en concurrence s’impose si, en raison de la rareté de la ressource sollicitée, le nombre d’autorisations qu’il est possible d’octroyer s’avère limité :

« Dans l’hypothèse où les concessions en cause au principal entreraient dans le champ d’application de l’article 12 de la directive 2006/123 – ce qu’il incombe au juge de renvoi de déterminer, ainsi qu’il ressort du point 43 du présent arrêt – il convient de relever que, selon le paragraphe 1 de cette disposition, l’octroi d’autorisations, lorsque leur nombre est limité en raison de la rareté des ressources naturelles, doit être soumis à une procédure de sélection entre les candidats potentiels, laquelle doit répondre à toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment de publicité adéquate »

Certes, on peut douter que cette réponse ministérielle puisse contrarier la liberté de gestion posée par l’article L.2221-1 du CG3P.

Cependant, si l’on fait prévaloir non pas tant ladite réponse ministérielle mais plutôt à la décision de la CJUE à laquelle elle se réfère, alors la mise en concurrence sur le domaine privé des personnes publiques pourrait s’imposer si le critère de rareté est avéré.

Ainsi, en l’état du droit actuel, ce ne serait que si le domaine privé sollicité s’avère limité et indispensable à l’activité envisagée qu’une mise en concurrence devrait être organisée.

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[1] Rép. Min. n°12868,  9 janvier 2019, JOAN, p. 861

[2] CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, C-458/14 ; Mario Melis e.a., C-67/15

Matthieu Kluczynski

Avocat Associé

Cabinet MCH Avocats AARPI