Loi ASAP : fin d’année en fanfare pour le droit de la commande publique !

Malgré les mesures sanitaires, le législateur a maintenu une habitude devenue à présent tradition : livrer de nouveaux ajustements au droit de la commande publique pour finir l’année en beauté. Fin 2020, c’est la loi ASAP qui monopolise l’attention.

Matthieu Kluczynski, associé du cabinet MCH Avocats, devenu le cabinet Admys Avocats au 1er janvier, répond à nos questions sur ces nouvelles mesures, afin de ne rien rater de cette actualité.

 

ACP FORMATION : Qu’est-ce que la loi ASAP ?

Matthieu Kluczynski : La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), publiée le 8 décembre 2020, est au cœur de l’actualité de la commande publique depuis quelques mois.

Cette loi n’était pas destinée initialement à impacter aussi profondément le droit de la commande publique, mais le contexte actuel issu de la Covid-19 a modifié la donne. Dans sa version adoptée, la loi assume son intention de favoriser la relance de l’économie et de faciliter l’accès des PME à la commande publique en assouplissant certaines règles.

Le Conseil Constitutionnel a déclaré ces mesures conformes à la Constitution le 3 décembre 2020.

 

ACP FORMATION : Quelle est la mesure phare de cette loi ?

Matthieu Kluczynski : Il est difficile de choisir « la » mesure phare au regard de la multiplicité des dispositifs adoptés. Toutefois, celle qui est le plus susceptible d’impacter immédiatement la pratique des acheteurs et des opérateurs économiques est sans nul doute le relèvement du seuil en-dessous duquel les acheteurs sont dispensés de mesures de publicité et de mise en concurrence obligatoires.

Ainsi, jusqu’au 31 décembre 2022, les acheteurs peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 € hors taxes. L’objectif est évidemment de pouvoir conclure des contrats plus rapidement, notamment avec des PME qui ne sont pas forcément habituées à répondre à des consultations, afin de faciliter la reprise rapide de l’activité.

Toutefois, les acheteurs publics devront veiller au respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics.

 

ACP FORMATION : Certaines mesures ont-elles suscité une attention plus particulière ?

 Matthieu Kluczynski : Assurément, les cas de dispense de procédure motivée par un motif d’intérêt général a fait l’objet de nombreux commentaires. L’article 131 de la loi modifie la liste de l’article L. 2122-1 du CCP en ajoutant la mention « ou à l’intérêt général ».

Toutefois, il est clair que les acheteurs ne peuvent pas décider de déroger discrétionnairement aux procédures selon leur propre appréciation d’une situation d’intérêt général. L’objectif du texte est surtout, à ce stade, de permettre au pouvoir réglementaire de déterminer par décret des cas qui relèveraient de l’intérêt général et qui permettraient alors de déroger aux procédures.

En effet, les cas de dispense de publicité et de mise en concurrence sont précisés dans la partie réglementaire du CCP, de manière exhaustive et, pour le moment, ces articles ne sont pas complétés par l’hypothèse de l’intérêt général, même si le Gouvernement est dorénavant habilité à intervenir.

Cette voie est d’autant plus restreinte que les mesures dérogatoires potentiellement envisageables devront respecter les exigences constitutionnelles et ne pourront pas concerner des marchés couverts par les directives communautaires (le droit interne ne pouvant être contraire au droit communautaire).

Les débats suscités par ce texte sont donc relativement prématurés puisque les acheteurs ne peuvent pas décider que telle ou telle situation relevant de l’intérêt général permettrait de déroger aux règles de la commande publique. Mais ces discussions retrouveront leur légitimité en cas de mesures d’application par décret.

 

ACP FORMATION : La loi ASAP prévoit-elle d’adapter durablement le droit de la commande publique à des évènements comme la Covid-19 ?

Matthieu Kluczynski : Tout à fait. Rappelons que la crise sanitaire a suscité l’adoption de nombreux textes, notamment en droit de la commande publique, afin d’adapter la réglementation aux conséquences de la pandémie. On pense évidemment à l’ordonnance – très commentée – n°2020-319 du 25 mars 2020 ajustant tant les règles de passation (adaptation des procédures de mise en concurrence en cours de consultation) que les règles d’exécution (modification des contrats en cours, avenant de prolongation, exonération des pénalités contractuelles, marché de substitution, etc.).

Afin de pouvoir faire face à l’avenir à des situations analogues, l’article 132 de la loi ASAP introduit un ensemble de règles applicables en cas de circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire en cas de crises d’une particulière gravité comme une guerre, une crise économique majeure, une catastrophe naturelle, une pandémie. Ces règles sont introduites dans la partie « marché public » mais aussi dans la partie « concession » du CCP.

En revanche, là encore, il n’appartient pas aux acheteurs de décider arbitrairement de recourir à ces mécanismes :  l’application de ces mesures dépendra d’un décret d’application afin de déroger de manière exceptionnelle aux règles des marchés publics et concessions.

 

ACP FORMATION : Outre ces nouvelles mesures, la loi ajuste-t-elle le cadre juridique préexistant ?

Matthieu Kluczynski : Afin d’améliorer la lisibilité du régime juridique en matière de conclusion d’avenant, l’article 133 de la loi ASAP facilite l’application des nouvelles règles dans le temps.  Pour mémoire, le régime des avenants issu de la réforme de 2016 s’applique à toutes les concessions, y compris celles conclues avant la réforme de 2016, ainsi qu’aux marchés publics conclus après l’entrée en vigueur des textes. Le régime antérieur était donc maintenu pour les marchés publics conclus avant 2016.

La loi étend dorénavant les nouvelles règles à tous les contrats, même ceux conclus avant 2016, mettant ainsi fin à la coexistence de deux régimes juridiques différents selon la date de signature des marchés en cause.

 

ACP FORMATION : D’autres mesures de simplification ont-elles été adoptées ?

Matthieu Kluczynski : En premier lieu, l’article 133 de loi vient offrir une meilleure protection aux entreprises en redressement judiciaire, lesquelles peuvent candidater aux contrats de la commande publique même si elles sont déjà en situation de redressement. Également, les acheteurs ne peuvent résilier un marché ou une concession au prétexte que l’opérateur économique est en redressement judiciaire. Les entreprises bénéficient ainsi d’un régime protecteur pour accéder aux contrats de la commande publique.

En second lieu, l’article 131 de la loi prévoit que l’acheteur devra obligatoirement tenir compte, parmi les critères d’attribution des marchés globaux (marchés de conception-réalisation, marchés globaux de performance et marchés globaux sectoriels), de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engagera à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans (comme pour les marchés de partenariat).

Le but poursuivi par ces mesures est d’offrir la possibilité aux entreprises en difficulté ou aux PME de bénéficier de l’effet levier de la commande publique pour se remettre de la crise.

 

ACP FORMATION : Enfin, la loi ASAP n’est pas sans conséquence sur les marchés de services juridiques, n’est-ce pas ?

Matthieu Kluczynski : Effectivement, l’article 140 de la loi ASAP revient sur les marchés de prestations de services juridiques afin de revaloriser la relation intuitu personae entre l’avocat et son client, même s’il s’agit d’un acheteur public. Le rôle de défenseur implique d’établir un lien de confiance, lequel s’accommode parfois mal des formalités de publicité et de mise en concurrence.

La loi ASAP revient donc sur la solution proposée par les directives communautaires en permettant aux personnes publiques de confier à un avocat – sans formalités – des prestations de services de représentation en justice, mais encore des services de consultation juridique en cas de forte probabilité d’un contentieux.

Entre objectif d’anticipation et volonté de clarification, la loi ASAP introduit dans le CCP de nouvelles dispositions que les acheteurs ne manqueront pas de mobiliser en 2021 !

 

Matthieu KLUCZYNSKI

Avocat à la Cour

 Admys Avocats AARPI

mk@admys-avocats.com

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