L’imprévision dans la commande publique

LE CONTEXE SANITAIRE ACTUEL

 

Face à l’épidémie du coronavirus et ses conséquences économiques, les entreprises titulaires de contrats publics tels que des marchés publics et des contrats de concession rencontrent et vont rencontrer des difficultés tant conjoncturelles que structurelles dans l’exécution de leurs contrats.

Les professionnels doivent recourir à une gestion habile de leurs contrats en cours notamment en cas d’imprévu, d’imprevision et de force majeure. Il leur faut appréhender les champs de potentialités d’aménagements des conditions d’exécution tout en évitant les pénalités ou indemnités.

Il est pertinent de rappelle que l’imprévision constitue un outil juridique à différencier du cas de force majeur. Il est donc essentiel d’en maîtriser la portée en cette période de crise sanitaire rythmée par tant d’imprévus.

 

LA FORCE OBLIGATOIRE  DES CONTRATS

 

Le Code civil dispose que « les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».

Cette formule renvoie à l’adage romain « Pacta sunt servanda » soulevant l’impératif pour chaque partie, dont les tiers, de respecter leurs engagements.

L’article 1101 rappelle que le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres parties, à faire ou à ne pas faire quelque chose.

Le principe de la force obligatoire des contrats ordonne aux parties le respect des engagements dès la phase précontractuelle. Ainsi, dès lors que l’équilibre contractuel est rompu, le respect du principe d’imprévision engagerait les parties à réviser le contrat afin de rétablir l’équilibre contractuel initial.

La jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de Cassation, dans son arrêt Chevassus Marche du 24 novembre 1998, considère que manquait à son obligation de loyauté le mandant qui, informé des difficultés de son mandataire, n’a pas pris des mesures concrètes pour permettre à son agent commercial de pratiquer des prix concurrentiels, proches de ceux des mêmes produits vendus dans le cadre de ventes parallèles, et de le mettre ainsi en mesure d’exercer son mandat.

 

DISTINCTION ENTRE L’IMPREVISION ET LA FORCE MAJEURE

 

La force majeure 

La force majeure, codifiée à l’article 1148, résulte d’un d’un événement à la fois extérieur aux parties au contrat mais également doté d’un caractère irrésistible et imprévisible s’appréciant à la date de conclusion du contrat. Ces trois conditions sont cumulatives.

Le gouvernement a officiellement reconnu la crise de la COVID 19 comme étant un cas de force majeure. Ce faisant, les fournisseurs sont donc exemptés de toutes pénalités de retard dans le cadre de leurs activités professionnelles.

Ainsi, les contrats conclus avant la survenance de la COVID 19 peuvent se voir appliquer le régime de la force majeure étant donné que les conséquences de la crise sanitaire étaient imprévisibles pour l’ensemble des parties au contrat.

La charge de la preuve pour le régime de force majeure incombe au titulaire du contrat dont l’impératif est de démontrer l’impossibilité d’exécution du contrat (de prestation de services ou de fournitures) en raison du contexte sanitaire.

La force majeure est ainsi difficilement mobilisable pour les contrats conclus après le premier confinement.

Sachant que la force majeure vise une résiliation définitive du contrat, le maintien du marché mais avec sa suspension ou son ralentissement dans l’exécution peut être rendu possible à travers le rappel de la théorie de l’imprévision.

 

L’imprévision

L’imprévision est une théorie jurisprudentielle née de l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 mars 1916 – Compagnie générale du gaz de Bordeaux.

Cette théorie impose à la personne publique cocontractant d’aider financièrement le titulaire du marché à exécuter le contrat lorsqu’un événement imprévisible et étranger à la volonté des parties provoque un bouleversement de l’économie du contrat en question.

Ce critère, théorisé dans le Code civil est également valable en droit des contrats publics.

 

LA MISE EN ŒUVRE DE LA THEORIE DE L IMPREVISION EN DROIT DE LA COMMANDE PUBLIQUE

 

La reconnaissance du caractère imprévisible de la situation

Il convient tout d’abord de rappeler  quelles sont les circonstances qui permettent de qualifier juridiquement la situation d’imprévisible.

Les circonstances imprévues ne sont reconnues que lorsque certaines conditions cumulatives sont réunies :

  • L’événement est imprévisible au moment de la signature du contrat ;
  • L’événement est extérieur aux parties et à l’ouvrage ;
  • L’événement rend plus onéreuse l’exécution des travaux (CE, 30 juillet 2003, Commune de Lens, n° 223445) ;
  • Et, pour les marchés à forfait, l’événement bouleverse l’économie du contrat (CAA de Marseille, 12 juin 2017, n° 15MA5005).

 

Les modalités de mise en œuvre contractuelle

L’article L. 6-3° CCP du Code de la commande publique prévoit qu’un contrat puisse être modifié lorsqu’a lieu un événement « extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat ».

Il est essentiel de relever le caractère temporaire de ce déséquilibre qui nuance l’imprévisibilité de la force majeure (Jurisprudence du Conseil d’Etat du 9 décembre 1932- Compagnie de tramways de Cherbourg).

Dans ce cadre là, le cocontractant a droit à une indemnité en échange de laquelle la partie est tenue de continuer l’exécution du contrat de bonne foi et l’ensemble des obligations qui en découlent.

Les charges financières liées à la situation qualifiée d’imprévision ne sont pas contractuelles mais doivent faire l’objet d’une indemnisation.

Lorsque certaines circonstances économiques ont entraîné le bouleversement de l’économie du contrat, les juridictions ont admis que l’administration compense sous forme d’une indemnité les pertes subies, sans pour autant garantir un bénéfice au titulaire.

Si le volet indemnitaire est considéré comme insuffisant, les cocontractants peuvent procéder à une révision amiable. A défaut d’accord, les tribunaux se réservent la compétence de prononcer la résiliation définitive du contrat.

La résiliation d’un contrat pour cause d’imprévision ne s’applique pratiquement qu’aux concessions.

Parallèlement, l’article L2194-1 souligne qu’un marché peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence lorsque les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues.

L’article R. 2194-5 prévoit également que « le marché peut être modifié lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstance qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir ».

 

Préconisations dans la rédaction des marchés et concessions

Ainsi, bien que cette pratique ne soit pas obligatoire, il est vivement conseillé, au vu du contexte sanitaire et économique actuel, de prévoir des clauses d’imprévision avec leurs modalités de mise en œuvre et les conséquences potentielles.

Il est essentiel que le titulaire fasse part à la personne publique le plus rapidement possible de ses difficultés à exécuter le contrat à travers des preuves matérielles (notamment des difficultés liées à la crise sanitaire) pour que l’administration revoie les conditions d’exécution du contrat en question.

Cette théorie civiliste, consacrée à travers une jurisprudence du Conseil d’Etat en 1916, semble aujourd’hui retrouver un souffle nouveau avec la crise de la COVID 19 qui bouleverse l’économie des contrats privés et publics et impose une redéfinition des modalités d’exécution des contrats entre les différentes parties.

 

Dimitri MEUNIER
Avocat
Docteur en Droit
ADP AVOCATS

Dimitri Meunier