Loi « Climat », loi « Séparatisme », décret sur les accords-cadres sans maximum : une rentrée chargée pour le droit de la commande publique !

De nombreux chantiers législatifs et réglementaires ont abouti à la fin de l’été à l’adoption de plusieurs textes impactant à plus ou moins long terme le droit de la commande publique.

La loi du 22 août 2021[1] portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets  (dite loi « Climat et résilience »), la loi confortant le respect des principes de la République du 24 août 2021[2], mais encore le décret du 23 août 2021 modifiant les dispositions du Code de la commande publique relatives aux accords-cadres[3] , obligent les acheteurs publics à adapter leurs pratiques.

Matthieu Kluczynski, associé du cabinet ADMYS Avocats et formateur pour le groupe Abilways, répond à nos questions sur ces trois textes, également présentés en détails dans la formation proposée par ACP : « L’actualité des marchés publics ».

ACP Formation : La loi climat et résilience, longuement attendue, est enfin arrivée. Comment la résumer ?

Matthieu Kluczynski – ADMYS Avocats : La loi dite « Climat et résilience », issue de la Convention citoyenne pour le climat, ne concerne évidemment pas que le droit de la commande publique mais modifie de nombreux pans du droit.

Concernant plus spécifiquement les contrats publics, l’article 35 de la loi comporte plusieurs mesures visant à intégrer davantage le développement durable au stade de la passation comme de l’exécution des contrats, qu’il s’agisse de marchés publics ou de contrats de concession.

Au premier chef, un nouvel article 3.1 sera intégré dans le titre préliminaire afin d’inscrire le développement durable aux côtés des principes fondamentaux de la commande publique ;  signe fort de la valeur que le législateur entend conférer à cet enjeu de politique publique.

Sans être exhaustif, le Code de la Commande Publique (CCP) va désormais imposer aux acheteurs de prendre en compte les objectifs de développement durable au moment de la détermination de la nature et de la formulation des spécification techniques. Plus avant, les contrats de la commande publique devront comporter des clauses dites « environnementales » et « sociales ».

Cette loi prévoit encore que les acheteurs devront impérativement sélectionner les candidats en tenant compte d’un critère relatif aux caractéristiques environnementales de la proposition. De manière à ne pas trop « fermer » ce critère, le législateur a opté pour une rédaction ménageant une certaine marge de manœuvre aux acheteurs.

 

ACP Formation : Mais cette loi est-elle d’application immédiate ?

Matthieu Kluczynski – ADMYS Avocats :  Les acheteurs disposent d’un certain délai. Certes, le renforcement du contenu des schémas de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (SAPSER) entrera en vigueur le 1er janvier 2023.  Cependant, l’entrée en vigueur des autres mesures dépendra d’un décret qui en fixera la date, et au plus tard le 22 août 2026.

 

ACP Formation : La loi sur les principes de la République était moins « attendue » par les acheteurs publics. Quel est son impact ?

 Matthieu Kluczynski – ADMYS Avocats : Cette loi prévoit que lorsqu’un contrat de la commande publique a pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’un service public, son titulaire est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public.

Ainsi, le prestataire (titulaire d’un marché public ou concessionnaire d’une concession de service) doit prendre les mesures nécessaires pour faire respecter ces principes. A titre d’exemple, il veille à ce que ses salariés ou les personnes sur lesquelles il exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction s’abstiennent notamment de manifester leurs opinions politiques ou religieuses, traitent de façon égale toutes les personnes et respectent leur liberté de conscience et leur dignité.

Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie pour partie l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations. Il est tenu de communiquer à l’acheteur chacun des contrats de sous-traitance ou de sous-concession ayant pour effet de faire participer le sous-traitant ou le sous-concessionnaire à l’exécution de la mission de service public.

 

ACP Formation : Ce texte a donc des conséquences sur le contenu des contrats publics relatifs à un service public ?

Matthieu Kluczynski – ADMYS Avocats : Oui, les clauses du contrat rappellent lesdits principes de la République et les obligations qui en résultent. Le contrat doit encore préciser les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celui-ci n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés.

Les acheteurs doivent être particulièrement vigilants car cette obligation s’applique aux contrats pour lesquels une consultation a été engagée dès le 25 août 2021. Pour les contrats antérieurs, ils doivent être modifiés par voie d’avenant avant le 25 août 2022, afin de respecter ces nouvelles obligations, sauf si le terme du contrat intervient avant le 25 février 2023.

Une application immédiate et impliquant un vaste chantier de régularisation… dont de nombreux acheteurs n’ont pas forcément conscience pour le moment.

 

ACP Formation : Le décret du 23 août 2021 sur les accords-cadres fait beaucoup parler. Qu’en est-il ?

Matthieu Kluczynski – ADMYS Avocats : Ce décret est effectivement le texte le plus commenté en cette rentrée, et surtout le plus craint. Si ce décret adopte pour l’essentiel des règles relatives aux marchés de défense et de sécurité, sa mesure phare est de revenir sur la possibilité offerte aux acheteurs de conclure des accords-cadres sans maximum.

Cette réécriture du Code résulte d’une jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 17 juin 2021[4] qui contraint les acheteurs à indiquer, dès l’avis de publicité, une quantité et/ou une valeur maximale des produits à fournir en cas d’accord-cadre.

 

ACP Formation : Mais ce texte est-il aujourd’hui en vigueur ou est-ce que les acheteurs peuvent être sereins sur les marchés en cours ?

Matthieu Kluczynski – ADMYS Avocats : Certes, le décret prévoit que cette mesure n’est applicable qu’aux accords-cadres lancés à compter du 1er janvier 2022, ce qui pourrait de prime abord rassurer les acheteurs sur leurs marchés en cours de consultation.

Cependant, le juge administratif n’entend pas faire jouer cet effet différé.

En effet, dans de nombreuses ordonnances rendues en référé précontractuel, le juge interne a sanctionné la conclusion d’accords-cadres sans maximum, du fait de l’applicabilité directe de l’interprétation du juge de l’Union européenne (TA Bordeaux, ord. 23 août 2021, req. n°2103959, TA Lille, ord. 27 août 2021, req. n°2106335).

Toutefois, une nuance doit être relevée. Même en reconnaissant l’application directe de la jurisprudence de la CJUE, nonobstant la période transitoire laissée par le décret du 23 août 2021, certains Tribunaux administratif se positionnent sur la lésion pour rejeter la demande d’annulation.

Dans ces affaires, les juges ont tenu compte de l’absence de demandes de renseignements des candidats mais encore du caractère suffisamment détaillé du DCE pour permettre aux candidats de remettre utilement leurs offres (TA Paris, 9 août 2021, req. n° 2115638/4, TA Montreuil, 9 septembre 2021, req. n°2110510).

Ainsi, la sanction en cas de contentieux n’apparaît pas systématique. Mais, à l’évidence, les acheteurs ne doivent pas tarder à plafonner leurs accords-cadres et – dans la même logique – leurs marchés à bons de commande.

[1] loi n° 2021-1104 du 22 août 2021

[2] loi n°2021-1109 du 24 août 2021

[3] Décret n°2021-1111 du 23 août 2021

[4] CJUE, 17 juin 2021, Simonsen & Weel A/S, aff. C-23/20, ECLI:EU:C:2021:490