Les marchés en dispense de procédure et l’ancestrale “règle » des trois devis : un équilibre à trouver entre la sécurité juridique et l’efficacité de l’achat public

Le relèvement de 25 000 à 40 000 € du seuil des marchés sans formalités préalables : la recherche d’un compromis (durable) entre transparence et simplification ?

En augmentant régulièrement le seuil qui déclenche les obligations de publicité et de mise en concurrence des entreprises, les pouvoirs publics placent les « acheteurs » en situation plus délicate pour la passation des marchés en-dessous des seuils et donc dispensés de ces obligations.

Soucieux de sécuriser leurs actes et décisions, de nombreux décisionnaires des services d’achats et, parfois même les comptables publics, conditionnent encore leur validation à la présentation de ces fameux « 3 devis ». Il est, toutefois, urgent de bien mesurer que ce formalisme lourd ne garantit pas des achats efficaces et n’offre qu’une sécurité juridique relative. Une démarche souple, pragmatique en adaptant simplement et rapidement nos pratiques à la situation d’achat permettra tout autant d’atteindre ces grands objectifs.

Un constat récurrent et contre-productif

Par cette décision, certes temporaire, fixant le seuil de dispense à 100 000 € HT pour les marchés de travaux, le Gouvernement a soulevé la critique d’une partie de la doctrine quant au risque juridique, notamment pénal. Mais, en réalité, il faut plutôt constater le maintien de pratiques bien différentes de celles redoutées, à savoir, un formalisme souvent excessif et au final, contre-productif.

Qu’en est-il du risque de « corruption » ? Dans cette notion globale de corruption, il faut entendre tous les délits susceptibles d’être commis dans le cadre de la commande publique, du délit de « favoritisme » à l’infraction la plus grave, la « corruption active ». Si le risque existe même à ce niveau de faible intérêt économique, les affaires pénales se révèlent tout autant lors de la passation de marchés  de grande ampleur.  Ces marchés étant conclus malgré tout suite à une procédure formalisée. Si les protagonistes doivent courir le risque, autant que l’enjeu en vaille la peine… de prison, serions-nous tentés de dire.

En outre, si la qualification, par exemple, de conflits, voire de prise illégale d’intérêts, peine à être bien comprise, il faudrait, peut-être, commencer par rappeler ses contours en haut lieu.

Nous pouvons toujours imaginer des corrupteurs embusqués dans toutes les petites entreprises de travaux publics, prêts à soudoyer Madame ou Monsieur le Maire, et ces derniers succomber aisément à la tentation. Mais nous avons probablement à redouter un  scénario plus périlleux : celui de l’incapacité à terme des TPE et PME à répondre aux marchés publics face une perpétuelle inflation normative et formaliste. Ce scénario pourrait, à terme, placer l’acheteur devant un champ concurrentiel très restreint et, par conséquent, sous la dépendance des quelques grandes enseignes nationales.

Les sages du Conseil d’Etat, saisis pour avis lors du passage du seuil à 25 000 €, n’ont jamais ouvert la voie à une dispense générale de procédure mais ont rappelé qu’il fallait veiller à ne pas contractualiser systématiquement avec les mêmes entreprises et que la mise en concurrence peut dans certains cas présenter un intérêt.

Certains grands services d’achat et leur hiérarchie, évoluant dans la crainte permanente du recours juridictionnel, n’ont que partiellement entendu ces recommandations et maintiennent en pratique des procédures très encadrées : multiples seuils intermédiaires avec circuits de contrôle et décisions distinctes, règle des « trois devis » à solliciter voire à présenter parfois dès les 5 000 €.

Ces devis sont souvent établis et obtenus dans la peine et la difficulté, aussi bien pour les entreprises que les services d’achat publics. On finit par verser dans des cas ubuesques lorsqu’il s’agit de rappeler, avec une insistance désespérée, des entreprises pour qu’elles adressent un devis, fût-il établi de façon fantaisiste. Tout ceci afin que l’achat soit validé.

Les conséquences sont bien connues : augmentation des délais et coûts de traitement par les agents publics, des délais d’approvisionnement ou de réalisation des prestations. Devis difficilement comparables et donc traités uniquement sur le critère financier. Enfin, il faut surtout déplorer le découragement des entreprises puis la disparition progressive du champ concurrentiel. Le résultat tant redouté de l’inefficacité de la commande publique serait bien atteint. Ces pratiques peuvent donc aboutir à l’effet inverse des objectifs visés.

Le pragmatisme et la souplesse avant tout !

Il ne s’agit en aucune façon d’inciter à une dispense systématique de mise en concurrence mais de supprimer ces nombreuses contraintes déclinées en seuils intermédiaires comme évoquées ci-avant. L’efficacité et la sécurité ne reposent pas forcément sur ces questions de montants et seuils mais davantage sur une analyse et un choix lié à la circonstance de l’achat. Il s’agit d’abord d’adapter la règle à la typologie d’achat, à la présence d’une offre multiple ou non, les compétences et réactivité, à plus forte raison dans ce contexte troublé.

A l’instar de  nombreux acheteurs publics qui le pratiquent déjà, vous constituez, dans un premier temps, un panel d’entreprises en vous assurant, avant tout, de leur capacité et savoir-faire. Travaillez en réseau et n’hésitez pas à contacter d’autres acheteurs à proximité pour intégrer régulièrement des nouveaux opérateurs et enrichir votre « vivier ».

Puis  de façon incitative,  vous  rechercherez et encouragerez leur volonté à participer à ce mode contractuel en leur précisant que le formalisme est réduit au strict nécessaire et que, dans bien des cas, l’acheteur se dispensera de les placer en concurrence. Vous rappellerez que ce mode de commande direct ne sera pas systématique pour autant car la remise en concurrence est parfois bénéfique pour tous. Aucune information à ce sujet, bien évidemment, ne sera donnée le moment venu.

Vous pouvez ensuite créer un « jeu de scénarios » et non plus des règles procédurales strictes fixées en amont. Définissez des principes mais aussi des exceptions et optez, le cas échéant, pour la solution la plus adaptée.

Pour les besoins modestes, standardisés ou urgents, un premier opérateur pourrait être sollicité parmi votre panel. Au lieu d’un « tour de rôle » systématique, il faut privilégier une répartition aléatoire ou ciblée pour réduire les risques d’entente.

Face à un besoin plus complexe nécessitant un réel savoir-faire et avec, probablement, une concurrence restreinte, la commande directe à une entreprise ayant démontré sa compétence reste envisageable. La qualité doit primer sur le coût.

Toutefois, dans des cas où l’acheteur fait face à certaines incertitudes, la mise en concurrence pourra se révéler plus pertinente. La production de plusieurs offres pourra vous offrir davantage de garanties quant aux problématiques identifiées ou mettre en lumière des contraintes techniques nouvelles qu’il vaut mieux anticiper.

En cas de prix inacceptables, une entreprise de « secours » pourra être sollicitée sans délais ou en amont pour prévenir ces risques. Bien évidemment, les dérapages de coûts ou l’insatisfaction de qualité en aval seront contrôlés et sanctionnés. Vous pourrez en tirer, aisément, les conséquences lors de la répartition des prochaines commandes.

Enfin, pour un besoin d’un montant significatif, la commande est conclue suite à la demande de plusieurs devis sans obligation, toutefois, d’en produire trois au décisionnaire. Un appel d’offres avec une seule réponse n’est pas systématiquement déclaré infructueux.

Un courrier de l’entreprise justifiant son désistement par sa charge de travail élevée le compensera.

Ces pratiques sont certainement perfectibles alors, testez, adaptez et jugez par vous-même de leur efficacité et de leur pertinence.

Mais surtout, allégeons le formalisme et préservons nos petites entreprises lors de ces petites commandes sous peine de les voir disparaître. La facturation électronique a déjà découragé  nombreuses d’entre elles, la future obligation de détention de certificat de signature électronique pourrait entrainer une nouvelle hécatombe.

 

Christophe Prunault
Formateur en marchés publics