Publication du décret d’application de la loi « Climat et résilience » : l’enracinement de la commande publique responsable

Le décret d’application de la loi « Climat et résilience » a un réel impact sur la commande publique. Pour nous aider à comprendre sa portée, Maëlle Comte et Mélanie Hamon du Cabinet Admys Avocats ont accepté de répondre à nos questions.

 

ACP FORMATION : Pourquoi ce décret portant diverses modifications du Code de la commande publique était-il tant attendu ?

Maëlle COMTE et Mélanie HAMON : Après l’entrée en vigueur de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021, la publication de son décret d’application était attendue par l’ensemble des acteurs de la commande publique tant les enjeux législatifs étaient forts. L’article 35 de la loi avait suscité de nombreuses interrogations quant aux modalités précises de mise en œuvre du « verdissement » de la commande publique.

C’est désormais chose faite.

 

ACP FORMATION : Quels sont les apports de ce décret d’application ?

Maëlle COMTE et Mélanie HAMON : Cinq mesures principales sont issues de ce décret.

En premier lieu, l’article 1er du décret vient modifier l’article D. 2111-3 du Code de la commande publique en abaissant de 100 à 50 millions d’euros le montant des achats annuels à partir duquel l’élaboration d’un Schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER) est obligatoire.

En second lieu, le décret met fin au critère unique fondé sur le prix. La prise en compte des caractéristiques environnementales d’une offre sera obligatoire à compter du 21 août 2026.

En troisième lieu, l’article R. 3131-3 du CCP est modifié. Désormais, les concessionnaires devront décrire dans leur rapport annuel les mesures qu’ils auront prises et mises en œuvre pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique.

En quatrième lieu, le décret vient également préciser les nouvelles modalités de publication des données essentielles de la commande publique sur un portail national de données ouvertes. Cette obligation vise les marchés dont la valeur du besoin est supérieure à 40 000 euros HT. Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur au plus tard le 1er janvier 2024.

En cinquième et dernier lieu, les entreprises qui n’ont pas établi un plan de vigilance (article L. 225-102-4 du Code de commerce) pourront être exclues des procédures de passation d’un contrat de la commande publique. Cette nouvelle interdiction de soumissionner a pris effet à compter du 4 mai 2022.

 

ACP FORMATION : Pouvez-vous nous en dire plus sur la suppression du critère unique « prix » et l’obligation de prendre en compte les caractéristiques environnementales de l’offre ?

 Maëlle COMTE et Mélanie HAMON : Si une seule des mesures du décret du 2 mai dernier devait être retenue, c’est bien celle de la disparition du critère unique « prix » !

Alors que la jurisprudence semblait freiner l’essor de la prise en compte de caractéristiques environnementales et/ou sociales d’une offre (Cf. CE, ordo., 25 mai 2018, Sté Imprimerie Chiffoleau c/ Nantes Métropoles, n° 417580), la loi n° 2021-1104 dite « Climat et résilience » du 22 août 2021 a clairement modifié le paradigme.

En effet, l’article 35 de la loi a modifié les articles L. 2152-7 et L. 3124-5 du CCP qui prévoient désormais qu’« au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre ».

Il résulte du décret d’application que si un seul critère est proposé par les acheteurs publics, il devra obligatoirement porter sur le coût global et prendre en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. Ces coûts peuvent, par exemple, se rattacher aux frais de consommation d’énergie ou d’autres ressources, au coût de collecte des déchets et/ou recyclage, ou aux externalités environnementales diverses.

En outre, en cas de pluralité de critères, au moins l’un d’entre eux devra prendre en compte les caractéristiques environnementales de l’offre.

Dans ce cas, le critère environnemental pourra alors porter sur la composition de produits d’entretien, la lutte contre le gaspillage, le recyclage des déchets, les démarches écologiques possibles, les démarches environnementales développées en interne dans l’entreprise ou la qualité et la fréquence du suivi des indicateurs environnementaux.

Une modification semblable de l’article R. 3124-4 du CCP, en ce qui concerne les concessions, est introduite par le décret.

 

ACP FORMATION : Dès lors, quelles sont les leçons à tirer du décret pour les praticiens du droit de la commande publique ?

Maëlle COMTE et Mélanie HAMON : Ces conséquences sont nombreuses. Toutefois, l’entrée en vigueur différée des dispositions permettra aux collectivités publiques de verdir progressivement leur commande publique.

En ce qui concerne la suppression du critère unique « prix », il est conseillé aux acheteurs publics de lancer un processus de réflexion sur les modalités de prise en compte des caractéristiques environnementales dans leur contrat de la commande publique.

lls peuvent également de leur plein gré intégrer progressivement un critère environnemental dans chacune de leurs procédures de consultation, avant même la date butoir du 21 août 2026.

En pratique, l’obligation de prévoir un critère à dimension environnementale aura pour conséquence de rééquilibrer le jeu de la concurrence en faveur des entreprises locales qui souffraient jusqu’à présent du dumping social lié au critère unique du prix.

Il est bien entendu toujours interdit pour les acheteurs publics de prévoir un critère géographique dans l’attribution d’un marché public (CJUE, 22 octobre 2015, Grupo Hospitalario Quiron SA, aff. C-552/13) dès lors qu’il méconnaîtrait les principes de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats (CE, 12 septembre 2018, Sté La Préface, n° 420585).

Toutefois, l’introduction d’un critère environnemental entraînera une nécessaire prise en compte des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions ou des performances énergétiques de chaque candidat. Ainsi, les entreprises plus proches géographiquement du besoin devraient proposer des offres plus performantes sur ce futur critère environnemental.

Enfin, il est à noter que ni la loi ni son décret d’application ne viennent imposer de pondération minimale du critère environnemental. Ainsi, aussi obligé soit l’acheteur d’instituer un critère environnemental, il pourra tout de même en décider de son importance en le pondérant à sa guise.

En ce qui concerne l’abaissement du seuil déclenchant l’obligation d’établir un SPASER, la Direction des affaires juridique (DAJ) estime que ce sont désormais 300 collectivités territoriales qui sont concernées, contre 130 auparavant.

Enfin, concernant le recensement économique des marchés publics, l’intervention de l’Observatoire économique de la commande publique permet de supprimer l’obligation de déclaration par les acheteurs eux-mêmes des données de recensement.

 

Maelle COMTE – Maître de conférences en droit public -Avocat associé ADMYS Avocats


Mélanie HAMON – Avocat associé ADMYS Avocats – Spécialiste en droit public

Avec la collaboration de Quentin CLEMENT, élève-avocat ADMYS Avocats 

Pour en savoir plus, nous vous recommandons la formation Intégrer le développement durable dans les marchés publics