LA CEDH entérine la jurisprudence interne sur les biens de retour en DSP

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Le sort des biens à l’issue d’une DSP constitue un enjeu crucial de la fin du contrat, quitte à enliser les parties dans des débats houleux sur la nature des biens et l’application ou non du régime des biens de retour. A cet égard, la Cour européenne des droits de l’Homme vient de valider la notion de « biens de retour » en droit français par son arrêt du 5 octobre 2023 (CEDH, 5 octobre 2023, n°24300/20, SÀRL COUTTOLENC C/ France).

 

  1. Pour rappel, la définition des biens de retour est désormais codifiée à l’article L. 3132-4 du Code de la commande publique, ce sont « Les biens, meubles ou immeubles, qui résultent d’investissements du concessionnaire et sont nécessaires au fonctionnement du service public ».

Cette qualification entraîne, au terme du contrat ayant pour objet l’exécution d’un service public, le retour gratuit des biens ayant été amortis durant le contrat, ou à défaut en contrepartie du versement de leur valeur comptable (article L. 3132-5 Code de la commande publique).

Au surplus, le régime des biens de retour est d’ordre public et s’apprécie en dehors de toute stipulation contractuelle ou volonté des parties (CE, ass. 21 décembre 2012, n°342788, Commune de Douai).

Ainsi, la nécessité de bon fonctionnement du service public a justifié un élargissement de la qualification des biens de retour.

A ce titre, pour être considéré comme un bien de retour, un bien doit avoir été nécessaire au service public à n’importe quel moment de l’exécution du contrat (CE, 26 février 2016, n°384424, Syndicat mixte de chauffage urbain de la Défense). Plus encore, cette qualification s’applique aussi aux biens acquis par l’opérateur cocontractant avant la conclusion du contrat, puis affectés au fonctionnement du service public (CE, sect., 29 juin 2018, Min de l’Intérieur et c/ Communauté de communes de la Vallée de l’Ubaye).

En revanche, le juge administratif a récemment considéré que la notion de biens de retour, en raison de l’effet relatif des contrats, ne concerne pas les biens appartenant aux tiers (CAA Bordeaux, 28 février 2023, n°21BX1167 ; CAA Marseille, 17 avril 2023, n°23MA00452).

Si le retour gratuit des biens nécessaires au fonctionnement du service public ne fait pas de doute, les cocontractants de l’administration restent encore souvent opposés au recours à cette qualification pour certains ouvrages et équipements compte-tenu des effets en fin de contrat.

  1. C’est la portée de l’arrêt « Communauté de communes de la Vallée d’Ubaye » susvisée qui a fait l’objet d’une contestation par un délégataire du service public de remontées mécaniques devant la Cour.

Depuis loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, le service des remontées mécaniques constitue un service public.

L’affaire portait initialement sur les difficultés rencontrées par les parties à une délégation de service public à se mettre d’accord, en fin de contrat, sur les biens nécessaires au fonctionnement du service public.

Un protocole transactionnel avait été conclu par les parties, mettant à la charge la Communauté de commune une somme pour le retour des biens nécessaires au fonctionnement du service public. Ce protocole avait été déféré par le Préfet des Alpes de Haute-Provence sans succès devant le Tribunal administratif puis la Cour administrative de Marseille, lequel estimé que cet acte portait atteinte à la notion de biens de retour.

En 2018, le Conseil d’État tranche finalement la question en jugeant illégale l’approbation du protocole, en ce que les biens affectés au fonctionnement du service public et dont le cocontractant était propriétaire avant la conclusion de la délégation de service public devaient faire retour dans le patrimoine de la personne publique, et cela gratuitement dès lors qu’ils avaient été amortis dans le cadre du contrat. La Cour administrative d’appel de Marseille, statuant sur renvoi, s’est conformé à cet arrêté.

C’est dans ce contexte que la société a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme.

A cet égard, la société requérante invoquait une violation de l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme relatif au droit de propriété en raison de la privation, sans indemnité, de biens dont elle était propriétaire antérieurement à la conclusion du contrat.

Ainsi, la Cour rappelle que pour qu’une ingérence dans le droit de propriété soit admise, elle doit (CEDH, 13 décembre 2016, n°53080/13, Bélané Nagy c/ Hongrie) :

  • Etre d’origine légale ;
  • Servir un intérêt public ou général légitime ;
  • Etre proportionnée au but poursuivi.

Il en résulte que la Cour conclut que s’il demeure que le régime des biens de retour constitue une ingérence, une violation de l’article 1er du Protocole n°1 ne saurait être alléguée dans cette affaire.

En effet, en raison de la durée d’exploitation des équipements (28 ans en l’espèce), la société a été en mesure d’amortir les biens litigieux et n’a donc pas supporté une charge spéciale et exorbitante du seul fait du transfert gratuit des biens à la collectivité. Par ailleurs, eu égard à l’importance du principe de continuité du service public, l’ingérence proportionnée à ce but.

 

Cette décision permettra d’appuyer les arguments d’ores et déjà avancés par l’administration pour garantir la mise en œuvre du mécanisme des biens retour, et cela même en cas de contestation par les cocontractants au titre de la violation de leur droit de propriété.

Matthieu Kluczynski, Avocat Associé, ADMYS Avocats

Avec la contribution de Lucie Fund, Juriste au cabinet ADMYS Avocats

 

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