Les bons de commande et les factures d’un marché public : des documents communicables même lorsque leur rapprochement pourrait permettre de reconstituer le bordereau des prix ?

Par Pierre-Ange Zalcberg, Directeur juridique et conformité adjoint de l’Etablissement français du sang

Par un avis en date du 22 novembre 2018, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) a demandé à l’Etablissement français du sang (EFS) de faire droit à la demande formulée par une entreprise concernant la communication d’un acte d’engagement et de ses annexes, d’un CCAP et de l’intégralité des bons de commande et des factures émis dans le cadre de différents marchés publics conclus par l’établissement.

S’agissant des bons de commande et des factures émis dans le cadre de l’exécution d’un marché public, la CADA considère qu’ils constituent des documents communicables que le pouvoir adjudicateur doit transmettre, dès lors qu’il est saisi d’une demande de communication en ce sens. Les factures ne reflétant pas en elles-mêmes la stratégie commerciale d’une entreprise.

Cela à la différence d’un bordereau de prix qui lui n’est jamais communicable à ce titre, en vertu de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan », req. n°375529).

Cette doctrine de la CADA selon laquelle une facture est un document communicable était déjà installée et connue puisque découlant d’un avis du 21 juillet 2017 (n°20172207 « Conseil départemental de l’Yonne »).

La précision apportée par la CADA dans son avis du 22 novembre 2018 est donc relative à l’hypothèse, dite « exceptionnelle », de factures permettant de reconstituer « l’exhaustivité des prestations et des prix portés en regard dès lors qu’il serait possible de reconstituer le bordereau des prix ».

Dans cette seule hypothèse, les factures doivent, selon la CADA, être cette fois-ci communiquées dûment occultées des mentions protégées par le secret des affaires (en occultant donc les prix unitaires et prestations au regard).

A contrario, il découle de cette doctrine qu’une facture d’un marché public faisant figurer un, voire plusieurs prix unitaires et leurs prestations en regard, mais non l’exhaustivité des prestations et des prix figurant au bordereau de prix, reste communicable sans réserve.

Or, ce critère lié à l’exhaustivité des prestations facturées invoqué par la CADA ne semble pas ressortir de la jurisprudence du Conseil d’Etat selon laquelle l’offre de prix détaillée ne saurait être communiquée.

L’instauration d’un tel critère par la CADA ne paraît pas correspondre à l’esprit de cette jurisprudence, et des conclusions du rapporteur public s’y rapportant, par lesquelles il est considéré que « la communication de l’offre de prix détaillée doit être refusée lorsqu’elle serait de nature à porter atteinte à une concurrence loyale et que tel est le cas, sous réserve d’une analyse d’espèce sur la structure du secteur d’activité et les opérateurs qui y interviennent, lorsque des appels d’offres portant sur des biens ou services analogues sont susceptibles d’être émis à brève échéance par le même pouvoir adjudicateur ou d’ailleurs aussi par d’autres ».

Si la communication d’une facture ou d’un bon de commande ne saurait en soi révéler la stratégie commerciale d’une entreprise, il ne semble pas, au regard de la jurisprudence précitée, en aller de même lorsque la facture fait précisément apparaître, ne serait-ce qu’une partie des prix unitaires (et une prestation en regard) d’un bordereau de prix.

En effet, en respectant la doctrine de la CADA telle qu’issue de l’avis n°20183274, des demandes multiples de communication de factures faisant figurer un ou plusieurs prix unitaires et les fournitures ou prestations en regard, effectuées de façon séquencée et portées par une même personne bien informée des conditions d’exécution financière d’un marché public (comme peut l’être un concurrent évincé) pourraient lui permettre de « reconstituer le bordereau de prix », selon les propres termes utilisés par la CADA.

C’est encore plus évident lorsque la demande porte directement sur la communication de l’intégralité des factures et des bons de commande d’un marché public car il est patent, dans de telles circonstances, que la communication de l’ensemble de ces documents pourrait permettre à la personne qui en fait la demande, par rapprochement des documents transmis, « de reconstituer le bordereau des prix ».

Dans ce cas de figure, si l’on interprète l’avis de la CADA du 22 novembre 2018, dans la mesure où l’acheteur public doit bien communiquer les factures et les bons de commande pris isolément, il ne devrait à tout le moins pouvoir le faire que sous réserve d’avoir occulté les prix unitaires et prestations y figurant. Ce qui n’est manifestement pas le sens de la doctrine de la CADA à la lecture de l’avis n°20183274 puisque ce dernier indique très clairement que la communication d’une facture ne reprenant pas l’exhaustivité des prestations et des prix figurant au bordereau de prix, doit se faire sans réserve.

Pourtant, au cas d’espèce et dans toute situation identique, la transmission de l’intégralité des factures et des bons de commande, sans occultation, reviendrait nécessairement à divulguer les prix éventuellement remisés consentis par une entreprise à son client, ce qui est susceptible d’affecter la concurrence entre les opérateurs économiques qui interviennent sur ce secteur d’activité ; a fortiori, lorsque le nombre de concurrents est particulièrement réduit sur un marché.

Cette doctrine de la CADA tendrait donc à devoir être clarifiée au moins sur les conditions de communication par un acheteur public des bons de commande et des factures afférentes lorsque l’acheteur public soupçonne qu’une fois transmis, ces documents pourraient, par rapprochement, permettre de reconstituer le bordereau des prix.

 

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