Économie circulaire : la commande publique se veut vert(ueus)e

La loi n°2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a été promulguée le 10 février dernier et publiée le lendemain au Journal officiel. Cette loi n’est pas sans impacter le droit de la commande publique, nouvelle démonstration que les lois sectorielles ont vocation à irradier l’achat public de leurs effets.

Présentation de la loi sur l’économie circulaire

De prime abord, ce texte ne porte pas, au premier chef, sur le droit de la commande publique. Il se concentre sur quatre grands axes que sont le renforcement de l’information du consommateur, la lutte contre le gaspillage pour préserver les ressources naturelles, la mobilisation des industriels pour transformer les modes de production et, enfin, l’amélioration de la collecte des déchets et la lutte contre les dépôts sauvages.

A de nombreux égards, les acteurs publics sont concernés par cette loi, notamment s’agissant des exigences renforcées de collecte des déchets plastiques, lesquels impliquent le déploiement de nouveaux dispositifs de collecte, en particulier avec la consigne envisagée pour le recyclage des bouteilles plastiques.

Cette loi vient pourtant renforcer la prise en compte de l’économie circulaire par le droit de la commande publique. En effet, les acheteurs sont – depuis quelques temps déjà – invités à construire leurs marchés en évitant le « schéma type » d’une économie linéaire rythmé par la production, la consommation et la destruction. Les acheteurs ont ainsi été conviés à changer de paradigme pour gérer efficacement les ressources économiques par la réduction, la réutilisation et le recyclage.

S’il ne s’agit pas là du sens premier donné au principe « d’efficacité » de la commande publique, la prise en compte des enjeux environnementaux y contribue sans doute.

Un verdissement qui prend son temps

Par son importance économique, la commande publique constitue un outil phare pour mettre en place cette nouvelle politique économique.

Déjà, l’article 53 du Code des marchés publics avait œuvré en ce sens avec la prise en compte des critères environnementaux et la substitution de la règle du « mieux disant » à celle du « moins-disant ».

La loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique a poursuivi cette sensibilisation, avec l’objectif pour l’État et les collectivités territoriales d’atteindre 70 % de valorisation des matières et déchets produits sur les chantiers de BTP et de la construction routière avant 2020.

Il ne s’agissait pourtant là que d’un engagement non contraignant faute d’indications et de moyens d’action clairs.

A ce stade, il appartient aux acheteurs eux-mêmes de décider de prendre (ou non) en compte ces dispositions dans leurs marchés. Une telle initiative peut toutefois être freinée par le risque de voir le juge censurer des critères dont l’objectivité peut parfois être discutée.

A cet égard, la réforme du droit des marchés publics[1] permet aux acteurs publics de mieux anticiper leur politique d’achat lors du « sourçage » ou « sourcing », pratique permettant de repérer l’innovation et d’envisager un achat plus ingénieux et responsable. De cette manière, des propositions favorables à l’économie circulaire pourraient être déployées. Si cette possibilité suscite un grand intérêt des praticiens, sa mise en œuvre n’est pas encore systématique, surtout chez les « petits acheteurs » qui n’ont pas pleinement adapté leur processus d’achat par manque de temps et/ou de moyens.

Sans doute l’intégration de la notion de « coût du cycle de vie » parmi les critères d’attribution des marchés publics (articles R.2152-9 et suivants du Code de la Commande Publique (CCP)), constitue sur ce point une évolution plus notable de la réforme[2] car elle implique la prise en compte des externalités environnementales.

C’est dans ce contexte en demi-teinte, portée par des objectifs à atteindre sans plan d’action concret et apparent, que la loi relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire a été adoptée. Ce texte prévoit notamment 5 mesures, générales ou plus sectorielles, afin d’imprégner l’achat public des enjeux de l’économie circulaire.

A compter du 1er janvier 2021 : l’insertion de clauses et critères « utiles »

En premier lieu, l’article 55 alinéa 1 de la loi prévoit qu’à compter du 1er janvier 2021 et sauf impossibilité manifeste, les achats publics devront obligatoirement inclure dans les cahiers des charges des clauses ou des « critère utiles » relatifs à l’économie circulaire.

Le texte décline ainsi les objectifs à atteindre : (i) réduire la consommation de plastiques à usage unique, (ii) réduire la production de déchets et (iii) privilégier les biens issus du réemploi ou qui intègrent des matières recyclées.

Le législateur introduit cependant une notion qui ne manquera pas de laisser dubitatif les acheteurs : cette obligation s’impose « dès que cela est possible », laissant planer le doute sur les critères permettant de qualifier une situation « d’impossible ».

L’on regrettera encore que ce texte soit uniquement incitatif et non impératif, d’autant plus qu’il ne sera pas codifié au sein du CCP (contrairement à l’article 56 ci-après évoqué).

Concernant l’achat de logiciels, l’économie d’énergie doit devenir une priorité

En deuxième lieu, l’article 55 alinéa 2 prévoit l’hypothèse particulière de l’acquisition de logiciels. L’achat de cette fourniture devra promouvoir le recours à des logiciels dont la conception permet de limiter la consommation énergétique associée à leur utilisation.

Là encore, aucune codification au CCP n’étant prévue, on ne peut que craindre que cette disposition ne soit pas intégrée par les acheteurs dans leur pratique.

Les constructions reconditionnées ne peuvent être exclus pour les achats de constructions temporaires

En troisième lieu, l’article 56 de la loi s’intéresse aux constructions temporaires. Pour leurs acquisitions, les acheteurs se voient interdire d’exclure celles qui auraient été reconditionnées pour réemploi, dès lors que leurs niveaux de qualité et de sécurité sont égaux à ceux des constructions neuves de même type.

A cet égard, il est encore précisé que les acheteurs doivent tenir compte des incidences énergétiques et environnementales de la construction sur toute sa durée de vie.

Les acheteurs doivent acquérir des pneumatiques rechapés

En quatrième lieu, l’article 60 de la loi se focalise sur un autre achat bien spécifique des collectivités.

Ainsi, les achats de pneumatiques effectués par l’État, les collectivités territoriales et leurs opérateurs doivent se porter sur des pneumatiques rechapés, sauf si une première consultation s’est révélée infructueuse. Cette disposition n’est toutefois pas imposée pour les véhicules d’urgence et les véhicules militaires.

Un taux de réemploi imposé, par produit, à compter du 1er janvier 2021

En cinquième lieu, à partir du 1er janvier 2021, les biens acquis sur une année par les acheteurs devront, dans des proportions de 20 à 100 % selon le type de produit, être issus du réemploi ou de la réutilisation ou intégrer des matières recyclées (sauf en cas de contrainte liée à la défense nationale ou à la nature de la commande publique).

Cette liste n’est pas connue à ce jour et sera fixée par un décret en Conseil d’État. Il faut donc faire preuve de patience pour connaitre le positionnement du curseur et, partant, le degré d’exigence imposé aux acheteurs.

Nombreux sont ceux qui considèrent ce texte comme insuffisant pour appuyer une politique publique capable de relever les défis environnementaux et l’urgence de la situation. Mais il faut tout de même reconnaître qu’il s’agit là d’une nouvelle avancée, favorable à la transition vers l’économie circulaire, sous réserve d’être suivie d’un accompagnement politique et d’une revalorisation de la stratégie d’achat des personnes publiques.

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[1] Décret n°2016-360 du 25 mars 2016

[2] Décret n°2016-360 du 25 mars 2016, art. 62

 

Me Matthieu Kluczynski,
Avocat associé
MCH Avocats