Durant la période estivale, l’actualité juridique de la commande publique n’a guère pris de vacances. Le législateur comme le juge administratif ont contribué encore davantage à l’enrichissement et la densification des règles et des interprétations proposées du droit de la commande publique.
Afin d’être parfaitement à jour de ces nouveautés ou précisions jurisprudentielles bienvenues, nous avons interrogé Me Matthieu Kluczynski, associé au sein du cabinet MCH Avocats, afin de répondre à nos questions sur les principaux apports survenus au cours de cette période estivale.
ACP FORMATION : Quel est le principal texte adopté au cours de cet été en droit de la commande publique ?
Matthieu Kluczynski : Assumant l’objectif de relance de l’économie, le décret n°2020-893 du 22 juillet 2020 relève, pendant un an, à 70.000 € HT le seuil de dispense de procédure pour la passation des marchés publics de travaux.
Les acheteurs sont ainsi autorisés à conclure plus rapidement des marchés publics avec des entreprises pour permettre une reprise économique plus soutenue dans le secteur du BTP.
Toutefois, cette possibilité reste encadrée puisqu’elle ne concerne que les lots qui portent sur (i) des travaux et dont le montant est (ii) inférieur à 70 000 € HT, (iii) à condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
ACP FORMATION : Est-ce le seul dispositif mis en place par ce décret ?
Ce même décret adopte une mesure tout à fait différente et originale. De manière à renforcer la lutte contre le gaspillage alimentaire, ce texte permet de conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables pendant cinq mois et jusqu’à 100.000 € HT, des denrées alimentaires produites, transformées et stockées pendant l’état d’urgence sanitaire et qui seront livrées avant le 10 décembre 2020.
Toutefois, là encore, ce nouveau dispositif reste limité : (i) il ne porte que sur les produits stockés produits ou transformés avant le 11 juillet 2020 et (ii) il n’est applicable qu’aux lots dont le montant est inférieur à 80 000 euros HT, (iii) à condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
Enfin, pour ces deux dispositifs, il est rappelé que ces mesures impliquent tout de même le respect des grands principes de la commande publique : les acheteurs doivent donc veiller à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin.
ACP FORMATION : Peut-on noter l’existence d’un autre texte nouvellement adopté ?
Il est possible également de relever l’adoption de l’arrêté du 28 juillet 2020 fixant le modèle de certificat de cessibilité des créances issues de marchés publics.
Pour mémoire, ce certificat de cessibilité permet au titulaire d’un marché public de céder la créance qu’il détient à un établissement de crédit ou à un fournisseur pour obtenir des liquidités ou des fournitures (art. R.2191-46 du CCP).
ACP FORMATION : Et du côté du juge administratif, quelles précisions ont été apportées ces dernières semaines en droit des contrats administratifs ?
On peut relever l’existence d’un arrêt du Conseil d’Etat concernant le groupement de coopération sanitaire (CE, 10 juillet 2020, Centre Hospitalier de Saint Calais, req. n°427782).
Aux termes de l’article L. 61331 du Code de la santé publique, le groupement de coopération sanitaire de moyens a pour objet de faciliter, de développer ou d’améliorer l’activité de ses membres. Or, la question n’était pas encore tranchée concernant l’articulation entre les prestations confiées à un tel groupement et le risque de qualification de marchés publics.
Le Conseil d’État valide l’interprétation de la Cour administrative d’appel selon laquelle la coopération organisée par la convention conclue entre le centre hospitalier de Saint-Calais et la société Maine IC, qui a pour objet de faciliter et de développer l’imagerie médicale de ses membres, n’avait pas pour objet l’acquisition de biens, travaux ou prestations de services par le centre hospitalier et que cette convention ne pouvait être regardée comme un marché public.
Il s’agit d’une précision fort utile pour les nombreux établissements mettant en place ce type de coopération.
ACP FORMATION : Et en matière d’exécution des contrats publics, peut-on relever un arrêt notable ?
Tout à fait. Le Conseil d’Etat a rendu un arrêt intéressant en matière de résiliation des contrats de la commande publique. Traditionnellement, la personne publique peut résilier unilatéralement le contrat nul (CAA Paris, 11 octobre 1994, Editor Tennog c/ Commune de Houilles, req. n° 93PA01072 ; CAA Paris, 8 mars 2005, M. D. req. n° 01PA04014).
Ainsi, la jurisprudence administrative admettait de longue date que, malgré le monopole du juge pour constater la nullité d’un marché, la résiliation puisse être prononcée en raison par exemple des irrégularités entachant la rédaction du contrat (CE, 10 juillet 1996, Coisne, Rec CE 1996, tables, p.1006) ou encore du non-respect des règles de passation (CAA Nancy, 24 février 2005, Société Thyssen Ascenseurs, req. n° 00NC00596).
Certes, le fameux arrêt « Ville de Béziers » (CE, Ass. 28 décembre 2009, Commune de Béziers, req. n° 304802) a introduit une sérieux doute sur la possibilité de résilier un contrat illégal puisqu’il est venu limiter les hypothèses où le juge lui-même sanctionne les irrégularités, en faisant prévaloir le principe de loyauté des relations contractuelles.
Toutefois, ces nouvelles règles ne semblaient pas affecter pour autant le droit pour la personne publique de résilier le contrat irrégulier en cas de vice d’une particulière gravité.
C’est sur ce point que, le Conseil d’État a très récemment rappelé la possibilité pour un acheteur de résilier unilatéralement le contrat au titre de son illégalité, sans avoir à saisir préalablement le juge, tout en soulignant que l’illégalité doit être d’une gravité suffisante (CE, 10 juillet 2020, Communauté d’Agglomération de Reims, req. n°430864).
Il est évident que la juste appréciation de la « gravité suffisante » reste un exercice particulièrement délicat pour l’acheteur. Enfin le Conseil d’État rappelle que, dans ce cas, une indemnisation sera due au titulaire résilié ce qui, évidemment, doit être anticipé par l’acheteur au moment de sa prise de décision.
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