Commande publique et Covid-19 : quelles nouvelles mesures en cours de réflexion ?

Le déconfinement intervenu le 11 mai dernier et la reprise ces dernières semaines de la plupart des activités de travaux et services conduisent les acteurs publics à confronter l’impact de la crise. Qu’il s’agisse des prestations interrompues ou partiellement exécutées durant la période de confinement, ou encore des ajustements imposés du fait du maintien de mesures contraignantes, les sujets sont nombreux et délicats à traiter.

Dans ce contexte, nous vous proposons de nous intéresser aux mesures proposées pour adapter le droit de la commande publique au Covid-19, certaines ayant pour objectif de répondre à des problématiques immédiates, d’autres cherchant à faire évoluer la réglementation pour faciliter les projets de demain.

Matthieu Kluczynski, associé du cabinet MCH Avocats, évoque avec nous ces pistes de réflexions en cours.

 

Quel constat peut-on faire de la situation juridique actuelle ?

Matthieu Kluczynski : Certes, le gouvernement a rapidement adopté l’ordonnance n°2020-319 du 25 mars 2020 visant à adapter les règles applicables aux contrats de la commande publique pendant la crise sanitaire, laquelle fut largement débattue, commentée, interprétée et précisée notamment par la Foire aux questions (FAQ) de la Direction des affaires juridiques (DAJ).

Toutefois, de nombreuses voix se font entendre pour solliciter davantage de clarification sur le réglementation applicable afin d’adapter le droit de la commande publique pour répondre aux solutions très concrètes qui se font jour.

D’aucuns souhaiteraient encore tirer les enseignements de cette crise sanitaire pour envisager une évolution plus profonde de la réglementation, à tout le moins durant une période temporaire, voire expérimentale.

Quelles sont les pistes de réflexion concernant les surcoûts des travaux du fait des mesures sanitaires ?

Matthieu Kluczynski : Cette problématique est sans doute la plus urgente à traiter, tant pour les acteurs publics que pour les entreprises du secteur. Les premiers s’inquiètent de se voir imposer la prise en charge des conséquences financières de la crise, au risque de creuser des budgets parfois fragiles. Les seconds craignent évidemment que les mesures, dont ils assument la charge financière pour le moment, ne viennent consommer leur marge bénéficiaire et mettre à mal la rentabilité économique de leur activité, avec l’ombre du risque de défaillance de leur société.

Dans un premier temps, l’heure est aux constats. Différentes entités comme la Capeb propose une analyse des surcoûts liés à la coativité, la désinfection et les équipements de protection. Il en résulte une estimation entre 10 et 20 % sur le coût journalier. Cependant, l’étude démontre qu’il est difficile de généraliser dans la mesure où les surcoûts varient largement en fonction de la nature des travaux, de la localisation et du protocole mis en place sur chaque chantier au regard de contraintes spécifiques.

Il parait donc difficile d’intervenir par voie d’ordonnance directement sur la prise en charge du surcoût, si ce n’est pour encadrer les postes de préjudices et orienter leur imputabilité. Mais à ce stade, la dynamique pourrait aussi consister à laisser les acheteurs et les opérateurs se rencontrer, lister les postes de surcoûts et ventiler la prise en charge en conséquence. De telles discussions sont en cours dans beaucoup de cas, mais elles risquent de susciter des crispations et des contestations, d’autant plus que les acheteurs publics demeurent soumis à l’interdiction d’accorder tout libéralité, ce qui légitime leur réserve (CE Sect., 19 mai 1971, Mergui, 79962). Il convient donc de privilégier un examen au cas par cas.

Une voie pourrait être la recherche de mesures indirectes, comme la mise en place d’un système de défiscalisation ou de TVA à taux réduit proposée par la Capeb. Une autre solution serait d’introduire une clause d’indexation liée à l’imprévisibilité pour majorer tous les contrats en cours. Cette proposition de la FFB suscite une certaine inquiétude puisqu’elle serait lourde de conséquences pour l’acheteur public et pourrait impacter plus largement l’économie de la commande publique.

 

Des mesures sont-elles envisagées pour soutenir les entreprises locales ?

Matthieu Kluczynski : Cette idée préexistait évidemment à la crise sanitaire du Covid-19. Une réponse ministérielle du 25 février 2020 indiquait déjà que l’accès des entreprises locales à la commande publique est une préoccupation majeure du Gouvernement. C’est un enjeu pour le développement économique des territoires et la croissance des petites et moyennes entreprises. Il était encore précisé que la promotion de l’achat local répond également à des préoccupations environnementales et écologiques. (Rép. Min. 25 février 2020, JO AN, n°24584).

Bien que des outils existent déjà, cette réponse rappelle que le juge européen et le juge administratif français censurent régulièrement les conditions d’exécution ou les critères d’attribution reposant sur l’origine des produits ou l’implantation géographique des entreprises et toute modification du droit des marchés publics en ce sens serait inconstitutionnelle et inconventionnelle.

Cependant, la crise sanitaire a renforcé la volonté des acteurs publiques d’assouplir – au moins temporairement – le Code de la commande publique pour permettre un meilleur accès des entreprises locales aux marchés publics. La commission des finances de l’Association des maires de France (AMF) considère ainsi qu’il serait opportun d’autoriser, lors de la sélection des offres des entreprises, un critère favorisant des entreprises dont le bénéfice de l’attribution irait au tissu économique local.

Cette suggestion émane encore des nombreux députés qui proposent « de permettre l’intégration d’un critère de préférence locale », une telle proposition impliquant nécessairement une prise de position au niveau de l’Union européenne.

 

Un rehaussement de plafond des marchés publics sans formalités préalables est-il envisagé ?

Matthieu Kluczynski : Il s’agit effectivement d’une suggestion présentée dans le cadre d’un amendement et consistant à faire passer le seuil de publicité et de mise en concurrence à 100 000 € HT. Rappelons que ce seuil était hier fixé à 25 000 € HT et est aujourd’hui fixé à 40 000 € HT depuis le 1ier janvier 2020.

Cette proposition a un objectif clair : se défaire du carcan parfois jugé trop lourd des règles de publicité et de mise en concurrence, tout en respectant les principes de la commande publique que sont l’égalité de traitement, la liberté d’accès et la transparence de la procédure, mais dans une approche plus pragmatique.

Ces propositions s’avèrent ainsi très disparates : tandis que certaines prônent l’assouplissement de règles jugées trop lourdes, d’autres propose une intervention (par voie d’ordonnance ?) plus soutenue pour répondre aux questions concrètes qui se dévoilent.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés des suites données à ces suggestions dans les colonnes du présent blog.

 

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